Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 17.djvu/336

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

solliciter humblement la permission de visiter les jardins. C’est d’ailleurs tout ce qui m’intéresse.

Accompagné par la femme du jardinier, je pénètre sur la terrasse du château, je m’accoude à la balustrade, et j’admire... Un immense horizon vient de se déployer subitement devant moi. Que c’est beau ! Comme je voudrais que les archéologues milanais, partisans de Casciago, ne se fussent point trompés ! Ce paysage est vraiment le cadre que l’on rêve pour les méditations platoniciennes de saint Augustin,

Partout des lacs, étalés en larges nappes dormantes, laiteuses et profondes comme des opales. Il y en a cinq, — le lac de Varèse, le Lac Majeur et trois autres plus petits, — mais si rapprochés qu’on dirait un unique miroir d’eau, aux formes contournées et capricieuses, découpé et brisé par la sertissure des montagnes et les mille courbes des terrains. Derrière, la masse violette des Alpes, où se détache, pareil à une gigantesque nef toute en marbre blanc, le Mont Rose chaperonné de ses neiges étincelantes. Au pied de la terrasse, une vaste plaine ondulée et mamelonnée, avec ses villages aux toits rouges, ses prairies et ses bouquets d’arbres : tout cela flottant dans cette lumière bleue et suave, qui, chez les peintres italiens de la Renaissance, baigne les fonds des paysages.

Je me retourne vers la façade cérémonieuse du château. De chaque côté du perron, deux grands jets d’eau en parade élancent leurs panaches jusqu’à la hauteur des corniches. Une pluie cristalline nous enveloppe et nous rafraîchit. Des fleurs aux couleurs vives composent la tapisserie éclatante des parterres : des œillets d’Inde, des bégonias, des glaïeuls, des hibiscus. Dans les massifs, des magnolias épanouissent leurs énormes corolles de satin blanc. Nous descendons, parmi les parfums âpres des plantes surchauffées et les gouttelettes d’eau pulvérisée, que chasse un coup de brise. Sous le mur d’appui de la terrasse, entre les deux rampes d’un double escalier, un dauphin de pierre dégorge une onde paresseuse dans un bassin obstrué de nénuphars ; et, tout de suite, à l’extrémité d’une étroite pelouse bordée de sapins, la vue se perd sur les dernières sinuosités du lac de Varèse...

Où suis-je ? Chez le grammairien Vérécundus, ou chez la princesse de Castelbarco ? J’essaie tant bien que mal de découvrir la villa antique sous son revêtement moderne et de raccorder ce