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loin, sous les herbes. Elle ne murmure plus, elle ne rebondit plus sur les cailloux, comme au temps où elle distrayait les insomnies de saint Augustin. C’est une flaque presque tarie, qui va être bue par la terre et les feuilles mortes. Cependant le régisseur nous assure qu’en hiver ou au printemps, après les pluies ou la fonte des neiges, la fontaine expirante se ranime, qu’elle coule alors à gros bouillons et qu’elle est encore capable de faire un assez beau tapage. A quoi le curé ajoute qu’elle est dérivée d’un torrent, qui passe tout près du village, — le Gambaione, — et que saint Augustin aurait implicitement désigné, lorsqu’il parle de cette eau, qui est amenée aux bains de Cassiciacum par des tuyaux de bois, — canalibus ligneolis.

Naturellement, les tuyaux de dérivation auraient été détruits au cours des siècles. Mais, dans le sous-sol d’un jardin, proche du palazzo Visconti, on a exhumé des conduits en terre cuite, comme les Romains en employaient pour leur hypocaustes. Seraient-ce les derniers vestiges des thermes de Vérécundus ? Il n’est nullement déraisonnable de le croire.

Enfin, pour épuiser les raisons archéologiques, il y a encore, sur le territoire de Cassago, un lieu qu’on appelle Oriano et qui est désigné dans le testament de l’archevêque Andréa, daté de l’an 903, sous le nom latin d’Aurelianum. Or, on sait que saint Augustin s’appelait Aurelius Augustinus. Est-ce en souvenir de son passage à Cassiciacum que les paysans auraient donné son nom à ce quartier de leur village ? Quoi qu’il en soit, tous ces menus faits forment un faisceau de concordances, qui obligent à réfléchir même les plus sceptiques.

Quant à la topographie de la villa moderne, elle se plie sans peine aux allusions descriptives de saint Augustin. Rien de plus facile, puisque ces allusions sont très sommaires. Dans toute cette région montagneuse, il n’est guère de villa qui n’ait sa pelouse ou sa terrasse, avec une prairie en contre-bas, où s’éparpillent des bouquets d’arbres. Et c’est bien ce que je trouve à la villa Visconti. Entre deux sapins, qui encadrent l’horizon, une vaste perspective se creuse, par-dessus les ondulations de la Brianza, jusqu’à la chaîne nébuleuse des Alpes. Les contours tremblent dans ce bleu suave et léger qui semble la couleur de l’air, en ce pays. A gauche, je reconnais la montagne en dents de scie et les escarpemens fauves, que j’avais déjà contemplés, l’an passé, à Cernusco. En somme, le paysage est le même que