s’étoient multipliés en France, pays du monde où cette éducation étoit le mieux donnée et peut-être le mieux reçue à cause de la tournure d’esprit naturelle à ses habitans, ces caractères où rien n’excelloit, mais où tout étoit exquis dans son obscurité ; cette réunion de qualités où tout charmoit, sans que rien y fût distingué ; ce tempérament singulier, que le philosophe suisse de Murait croyoit particulier à nos climats, et qui servoit à former ce qu’on appeloit proprement des hommes de mérite, « espèce d’hommes, dit-il, commune en France et presque inconnue partout ailleurs ; espèce d’hommes si nécessaire à l’ornement du monde et à l’honneur du genre humain que les siècles où aucune nation ne pourra se vanter d’en posséder un très grand nombre seront tous des siècles grossiers[1]. »
En 1809, Louis de Hollande avait pris au sérieux sa récente qualité de souverain ; et il s’efforçait d’organiser les études dans son royaume : il s’était adressé à Fontanes, pour un bon avis, et Fontanes à Joubert. Ce fut l’occasion des notes qu’on vient de lire. En 1809, principalement, on instaurait l’université impériale. Joubert l’aurait voulu rattacher à l’usage des bons pédagogues, dressés à leur métier par les congrégations enseignantes. Vive audace ! Et il montre là, implicitement, que, dans une vieille nation qui a les bénéfices de sa durée, on n’improvise pas : il faut continuer.
Le succès de l’ancienne éducation, ce n’est pas aux méthodes que Joubert l’attribue, mais surtout « aux hommes qui enseignoient. » Il se souvenait des professeurs qu’il avait eus à l’Esquille. A la façon qu’il a de parler d’eux et de leur existence paisible, ornée de littérature, embellie de contentement, adoucie de sécurité, l’on n’a pas de peine à concevoir qu’il ait désiré de suivre leur exemple.
C’est ce qui arriva, quand il eut terminé ses classes, à dix-huit ans. Il omit l’ambition, qu’avait conçue pour lui le maître-chirurgien, d’être un jour avocat au parlement de Toulouse. Il ne connaissait rien de la vie fastueuse que menaient, dans la
- ↑ Ce morceau, que je donne ici d’après l’original de Joubert, a été introduit, par l’éditeur de la Correspondance, dans une lettre à Fontanes du 8 juin 1809, mais avec quelques changemens. La citation de Murait, Joubert l’emprunte aux Lettres sur les Anglais et les Français. Elles ont paru en 1725 ; mais leur composition date de la fin du XVIIe siècle. C’est donc l’éducation française du temps de Louis XIV que juge ce Bernois : de cette époque à la jeunesse de Joubert, la tradition s’était maintenue.