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Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 17.djvu/425

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Si l’école gantoise du XVe siècle fait pauvre figure au musée de Gand, ce n’est point la faute des conservateurs très avertis des besoins de leur collection et très habiles à l’enrichir et à la classer. On trouve à la pinacothèque gantoise des morceaux instructifs de l’école aragonaise de la fin du XIVe siècle (Christ au tombeau), de l’école espagnole de la fin du XVe siècle (une Adoration des Mages italianisante pastillée d’or, agrémentée d’un château rose et d’une colline ténébreuse et un diptyque Pietà et Résurrection). On y admire un Couronnement de la Vierge, très beau morceau d’art florentin trécentiste, attribué à Orcagna[1] où les manteaux outremer du Christ et de la Vierge, le drap rouge tendu sur le trône divin, les vêtemens roses, gris, jaunes et bleus des anges musiciens composent l’harmonie la plus brillante, ainsi qu’un remarquable Christ au tombeau sur fond d’or, — dijonnais ou languedocien, peut-être même catalan ? La salle qui les renferme renseigne aussi sur les causes et les aspects de la grande crise où l’idéal de nos primitifs sombra dans le premier quart du XVIe siècle. Les trésors d’âme et de savoir des maîtres du XVe s’étaient accommodés d’une certaine monotonie iconographique qui finit par lasser. Et parmi les « gothiques » mêmes, deux maîtres aidèrent à rompre les digues : Geertjen tot Sint Jans (Gérard de Saint-Jean) de Harlem et Jérôme Bosch de Bois-le-Duc.

Pour ce qui est de ce dernier « novateur, chef d’école et créateur du genre fantastique et populaire où excellera Bruegel l’ancien, « comme dit très bien le catalogue du Musée, — la pinacothèque gantoise est particulièrement favorisée ; elle possède une œuvre du grand visionnaire, alors que « ni Bruxelles, ni Anvers, ni Amsterdam, ni La Haye, ni Paris, ni Londres n’ont de lui des œuvres incontestées. » C’est un Portement de Croix rassemblant une douzaine de figures autour d’un Christ très doux et comme absent de la scène. Les dehors populaires et grotesques de la tragique Passion sont traduits avec les réalités déconcertantes d’une caricature lyrique. Le bon larron est au haut à droite entre un capucin hargneux qui lui dépeint

  1. On ne saurait maintenir cette attribution, les figures de la Vierge et du Christ ne révélant ni dans la tête, ni dans la silhouette générale, ce sentiment unique de beauté qui permet à Orcagna de revivifier le dogmatisme giottesque.