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ou de bréviaire de la piété patriotique : le Mois de Jeanne d’Arc en trente et un chapitres comportant une lecture pour chaque jour du mois de mai. Les philosophes ont beau jeu à railler les pratiques de notre dévotion : le moment venu, ils savent bien les reprendre à leur usage : apparemment c’est qu’elles sont bonnes. Enfin parce qu’il n’est pas de force d’expansion plus puissante que celle du théâtre et parce que le théâtre fut jadis, à côté de l’Église et d’accord avec elle, un instrument d’éducation populaire, le fervent de Jeanne d’Arc composa une Jeanne d’Arc, trilogie dramatique, qui fut jouée en son temps non sans succès. Maintenant que les pouvoirs publics ont adopté l’idée de Joseph Fabre, il est juste de rendre hommage à celui qui fut l’ouvrier de la première heure et de toutes les heures, et qui voit enfin son rêve se réaliser.

La pièce que M. Joseph Fabre a publiée cet hiver, et qui, depuis, a été représentée dans diverses circonstances, la Délivrance d’Orléans[1], continue le même dessein et fait pareillement partie de ce « théâtre d’éducation. » C’est moins une œuvre originale, que ce n’est l’adaptation d’un vieil ouvrage ; et c’en est à mes yeux le mérite. M. Joseph Fabre observe très justement que tous ceux qui, en un tel sujet, ont essayé de faire œuvre personnelle et donné l’essor à leur génie ou à leur fantaisie y. ont échoué. La plus belle histoire qu’il y ait de Jeanne d’Arc, ce sont les procès-verbaux où nous lisons ses propres paroles ; de même, c’est dans les vieux textes des auteurs de Mystères qu’il faut aller chercher la version dramatique de cette histoire. Or nous avons à ce point de vue un document de premier ordre : c’est le Mistère du Siège d’Orléans. Quel en est l’auteur et à quelle date exacte écrivait-il ? On l’ignore. Toute cette littérature du moyen âge est anonyme, ayant pour objet non l’exaltation du littérateur, mais l’édification du public. On sait toutefois que l’auteur, quel qu’il soit, était un contemporain de Jeanne et qu’il était un Orléanais. Il avait subi le siège de sa ville et salué la Pucelle libératrice. Il n’a pas de génie, et surtout il n’a pas de talent ; mais il a — ce qui dans le cas particulier fait tellement mieux notre affaire ! — l’exactitude, la fidélité historique. Écrivant au lendemain de la mort de la Pucelle, il nous apporte sur elle le témoignage de l’époque où elle a vécu. Il reflète l’opinion répandue autour d’elle ; il traduit l’impression directe de ceux qui l’avaient connue. C’est assez dire l’intérêt d’une telle composition. — Oui, mais cette composition a vingt mille cinq cent vingt-neuf vers, pas un de moins, puisqu’on

  1. 1 vol. in-12, chez Hachette.