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est convenu de donner le nom de vers à la prose rimée de ces versificateurs insipides. Il y a cent quarante personnages, à ne prendre que les personnages individuels et non les groupes. La scène change, comme c’était alors l’usage, à chaque scène, passant sans transition d’Angleterre en France, de Domremy à Vaucouleurs, et de Chinon à Orléans, avec escales au paradis. Et l’historien des Mystères, Petit de Julleville, est d’avis que la mise en scène devait être extrêmement compliquée. « Non seulement le spectateur voyait l’armée anglaise quitter son île, s’embarquer, passer la mer, débarquer en France ; mais de véritables batailles s’engageaient sous ses yeux. Des quartiers entiers étaient livrés aux flammes, des villes mises au pillage... Il fallait que la scène fût immense et la décoration très riche pour que la pièce fût intelligible. » Bref, il n’y a aucune chances qu’aucun directeur soit jamais tenté d’exhumer le Mystère du XVe siècle, et de convier le public à une représentation qui durerait une petite semaine. Et il est bien certain que nul, sauf les érudits dont on n’a cure, n’ira s’aventurer parmi les ronces de ce texte rébarbatif. Pourtant, c’est là qu’on saisit le culte de Jeanne à sa source et dans sa pureté première. — Logicien par profession, M. Joseph Fabre ne pouvait manquer de tirer de ces prémisses la conclusion qui s’impose : c’est qu’il y aurait profit à présenter au public une réduction du vieux Mystère, sous une forme brève, claire, aisément accessible à tous. L’actuelle Délivrance d’Orléans est cette réduction de l’interminable Mistère du Siège d’Orléans. Ne croyez pas que la tâche fût facile. Elle exigeait une simplicité à la fois naturelle et voulue. M. Fabre rappelle que jadis Sarcey le qualifia d’être un pur primitif. Cette naïveté de primitif fait tout le mérite de son œuvre et lui donne tout son charme. Lisons donc, à travers les treize cents vers de M. Joseph Fabre, les vingt mille vers de l’original : si parfois il arrive que l’adaptateur introduise dans le texte quelques gloses qui lui sont personnelles, elles apparaîtront aussitôt dans cette trame où ne les dissimule aucun artifice.

Au prologue : la félonie de Salisbury et de Glassidas. En quoi consiste la félonie de ces lieutenans du roi d’Angleterre qui, en envahissant la France, se conduisaient en assez bons Anglais ? Voici. C’est que Charles d’Orléans, le prince poète, alors en captivité au palais de Westminster, leur avait fait promettre de respecter son héritage. Ils avaient promis tout ce qu’on voulait, avec l’intention bien arrêtée de ne rien tenir. Et, comme deux compères, ils s’étaient méchamment gaussés de la crédulité du prisonnier. Notre théâtre du moyen âge,