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et faisaient partie du langage courant ; il était urgent de colliger ces souvenirs et de les offrir au public dans des cadres maniables et portatifs et qui pussent être, en quelque sorte, pendus dans toutes les mémoires. Un homme naquit pour cette œuvre, et ce fut Plutarque.

Plutarque vit le jour à Chéronée, en Béotie, vers l’année 48 de l’ère chrétienne, sous le règne de l’empereur Claude. Il fit ses études à Athènes et voyagea en Egypte, en Italie ; il se fixa à Rome où il vécut vingt ans environ, du temps de Vespasien et de Domitien. Ce n’était pas une belle époque ; mais Plutarque n’avait pas charge d’âme, et il prenait son temps tel qu’il le trouvait. Bourgeois tranquille, professeur et conférencier, se piquant de lettres et de philosophie, il ne demandait qu’à vivre en paix, pourvu qu’on le laissât colliger les anecdotes et fouiller les archives. Après son long séjour à Rome, il regagna sa petite patrie et, là, se vit élevé aux modestes honneurs municipaux, archonte et même, dit-on, grand prêtre d’Apollon Pythien à Delphes. Le vieux culte périssait ; le grand Pan était mort. Plutarque, crédule et sceptique, s’amusait de ce qu’il eût vénéré trois siècles plus tôt. Après avoir glané, de toutes mains, des renseignemens sans nombre sur le passé et des préceptes judicieux sur la morale et sur la conduite de la vie, il écrivait, écrivait, jaloux de ne pas laisser perdre tant de belles choses.

Plutarque est, dans la force du terme, un polygraphe ; tout lui est prétexte à opuscule : les questions romaines, les questions grecques, la religion, les mystères, la gloire civile, la gloire militaire, les oracles de la Pythie et la décadence des oracles, la philosophie, la politique, le mariage, le divorce, l’eau, le feu, enfin tout[1]. Mais il se plaisait surtout aux récits biographiques et aux anecdotes. Il eut l’idée infiniment ingénieuse de grouper tous ces souvenirs du passé dans une galerie biographique où les héros grecs et les héros romains défilaient deux par deux, l’un en face de l’autre, formant une série qu’il appela les Vies parallèles.

Ce fut un trait de génie. Placé aux confins de la grande antiquité mourante et du christianisme déjà né, Plutarque reçut la double tradition grecque et romaine et la transmit avec une

  1. Ce sont les titres de quelques-uns des traités que Plutarque a laissés et qui sont groupés sous le nom d’Œuvres morales.