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d’insignifiantes sur le compte de Renan. Celui-là a été le maître aimé, vénéré, chéri entre tous, celui qui nous révèle à nous-mêmes, celui dont on rêve de poursuivre l’œuvre et d’égaler la gloire, celui dont l’influence nous pénètre jusqu’aux moelles et peu à peu nous transforme à son image. Quand il le lut pour la première fois, il dut se reconnaître en lui. De tous les écrivains dont il s’est inspiré aucun, pour la pensée comme pour le style, n’a marqué plus profondément de son empreinte l’auteur de Thaïs que le poète de l’Antechrist. « M. Renan, dit-il quelque part, M. Renan dont j’aime jusqu’à l’idolâtrie l’adorable esprit[1]… » Ah ! oui, comme il l’a aimé, jusque dans ses défauts et jusque dans ses tares, cet « adorable esprit ! » Je voudrais pouvoir reproduire ici tout entier l’article, injustement sacrifié, que M. France a consacré à Renan au lendemain de sa mort. Jamais « demi-dieu mortel » n’a été enseveli dans un plus beau linceul de pourpre : « Tout ce qui pense au monde l’a dit ou le dira : Ernest Renan fut, de tous nos contemporains, celui qui exerça la plus grande influence sur les esprits cultivés et celui qui ajouta le plus à leur culture. Il fut le maître de beaucoup. Beaucoup peuvent dire avec celui qui écrit en pleurant ces lignes, et qui sent la plume trembler entre ses doigts : « Nous avons perdu notre maître, notre lumière, notre chère gloire ! Il prenait les âmes non par la violence et à grandes secousses, dans le filet d’un système, mais avec la douce force des eaux bienfaisantes qui fécondent les terres. Il les enveloppait dans les enchantemens du plus beau génie qui ait parlé la plus belle des langues. Il nous a remplis de sa science profonde, de sa riche pensée, de ses doutes mêmes qui, dans un tel esprit,

  1. La vie hors Paris, Temps du 5 septembre 1886 (non recueilli en volume).