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éviter la Franche-Comté, bien que le voyage fût ainsi allongé de cinq jours. S’embarquer pour l’Angleterre à Honfleur, en venant de Paris par Rouen et « Poteau-de-Mer, » — Pont-Audemer, — est assez ordinaire au XVIIe siècle et, de Paris à Marseille, il est bien rare alors que l’on ne descende pas la Saône depuis Chalon et le Rhône jusqu’à Avignon.

Au moyen âge, surtout lorsque des voyageurs chargés de beaucoup de bagages et de peu d’argent devaient combiner une pérégrination économique, aucun détour ne les rebutait pour mettre à profit le cours de quelque rivière : Louis XI, mécontent (1479) des habitans d’Arras qu’il jugeait trop « Autrichois, » imagina de les déporter en masse et d’importer à leur place, dans cette cité-frontière, des colons recrutés en diverses villes de l’intérieur telles que Troyes, Moulins, Cusset, Montferrand, etc. Cette entreprise assez invraisemblable de dépeuplement et de repeuplement, par voie de décret, fut exécutée du moins partiellement, et les comptes parvenus jusqu’à nous montrent l’itinéraire suivi par les émigrans de Montferrand dans leur exode d’Auvergne en Artois.

Le gouvernement qui donnait à ces « bons marchands, » à ces « méchaniques, » — artisans, —. « facteurs, » ou commis, une prime en espèces et une robe « pour qu’ils prissent mieux en gré le voyage, » s’était aussi chargé des frais de leur transport. Il tenait donc à réduire au minimum cette dépense qui devait être « passée en forme d’imposition » sur tout le pays. Ces maîtres- maçons, serruriers, boulangers, chaussetiers, tisserands, etc. au nombre de 36, avec leurs familles et leurs « valets, » c’est-à-dire les compagnons ou apprentis de chaque métier, partirent de Montferrand en vingt chars à bœufs pour aller, à 25 kilomètres, s’embarquer à Maringues sur l’Allier, en deux bateaux frétés à leur intention. Ils descendirent l’Allier jusqu’à sa jonction avec la Loire, dont ils empruntèrent le cours jusqu’à Gien, et reprirent terre pour un court trajet jusqu’à Montargis. Là, remontés en bateau sur le Loing, d’où ils passèrent dans la Seine, ils traversèrent Paris et continuèrent à suivre cette rivière jusqu’à l’embouchure de l’Oise qu’ils empruntèrent jusqu’à Creil. Le voyage par eau avait duré dix-huit jours.

Nous laisserons nos « ménagers » auvergnats continuer de Creil à Amiens, où on leur achète des javelines « pour ce que les chemins sont dangereux en tirant vers Arras, » et nous ne