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les suivrons pas dans cette ville, d’où les uns s’en revinrent au bout de trois ou quatre ans au pays natal, mais où d’autres séjournaient encore lorsque Arras, repris en 1492 par les Espagnols, rentra pour cent cinquante ans sous la domination étrangère. Cet exemple suffit à dégager la pensée directrice, la loi du « moindre effort » qui, sous une apparence incohérente, réglait les parcours d’autrefois. On écrivait au XVIe siècle : « Le royaume de France a 22 journées de large et 19 de long ; le temps et le prix, le point de vue économique et financier domina, comme il fait encore de nos jours, le point de vue géographique jusqu’à la fin de la monarchie. Au fur et à mesure que les voies terriennes ou fluviales progressaient, elles prirent alternativement l’avantage.

Il subsista seulement en ce chapitre de bien singulières anomalies : en 1782, une compagnie fournissait Brest de pavés qu’elle tirait de Gand et d’Anvers. Ce pavé venait par l’Escaut à Vieux-Condé, était transbordé par chariots jusqu’à Ponts-sur-Seine, remis en péniches jusqu’à Paris, débarqué aux environs du Champ-de-Mars, rechargé sur charrettes jusqu’à Orléans et recommençait pour la troisième fois à naviguer jusqu’à Nantes. « Cela coûtait moins cher que par mer, disait un ministre au maréchal de Croy, qui rapporte ces détails, — et l’on a vraiment peine à l’admettre ! Mais lorsque M. de Croy s’étonne qu’entre Paris et Orléans on emploie pour ces pavés la route de terre plutôt que la Seine et le canal de Briare, nous croyons volontiers les entrepreneurs qui, dit-il, lui « firent voir que, par les frais et péages, il leur en coûtait le double d’aller par eau et qu’il aurait fallu près de trois mois pour ce qu’ils faisaient par rouliers en cinq jours. »

Que la charrette l’emportât sur le bateau, le fait était d’ailleurs exceptionnel au XVIIIe siècle : aujourd’hui, lorsqu’un Anglais se rend sur la Côte-d’Azur, il fait enregistrer ses bagages à Londres ou, s’il redoute les excédens, il les confie à la petite vitesse et ne s’en occupe plus jusqu’à leur arrivée à destination. Les choses n’allaient pas ainsi en 1767, on n’aurait su emporter avec soi des malles volumineuses et pesantes aussi le docteur Smollet, au moment de son départ pour Nice, via Paris, a-t-il soin d’embarquer à Boulogne ses gros bagages pour Bordeaux, adressés à un marchand de cette place qui les dirigera sur Toulouse par la Garonne ; de là, par le canal du Languedoc,