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demeurent purement théoriques ; fussent-ils renforcés de cette formule comminatoire : « à peine, pour les propriétaires récalcitrans de voir exécuter le travail à leurs dépens ; » nul n’en tient compte.

Plus sages étaient les Etats de Languedoc et de Provence qui, ne comptant que sur eux-mêmes, mettaient les travaux en adjudication, surveillaient l’exécution avec des fonctionnaires à leur solde et les payaient en répartissant d’office sur les diocèses, vigueries et paroisses une imposition proportionnelle. En 1640, le budget des Ponts et Chaussées, pour la France entière, n’atteignait pas 6 millions de notre monnaie ; là-dessus les personnages en faveur se taillaient de larges crédits : 250 000 francs y figurent pour la clôture de la petite ville de Richelieu, tandis qu’on y prévoit modestement 130 000 francs, pour servir dans treize généralités, — c’est-à-dire la moitié du royaume, — « à l’ouvrage le plus pressé. »

C’est seulement du XVIIIe siècle, vers 1735, sous le ministère de Fleury, que datent les premières « routes » dans l’acception moderne du mot. Une œuvre aussi nouvelle, aussi hardie, ne pouvait être entreprise que parce qu’elle répondait au vœu national ; l’opinion d’alors la réclamait impérieusement ; cependant elle rencontra mille obstacles que nous avons peine à nous figurer aujourd’hui.

On décréta la levée en masse et le service obligatoire... des bêches et des pics. Les hommes valides de toutes les paroisses, situées à quatre lieues à droite et à gauche des chemins projetés, furent tenus d’aller y travailler gratis six jours par mois en deux fois, munis d’outils et de vivres, logés seulement quand ils habitaient à plus d’une lieue. Nulle excuse ne fut admise, sauf l’extrême misère ; les intendans ayant recommandé de ne pas envoyer des hommes qui n’ont pas de pain à se mettre sous la dent pendant leurs trois jours de corvée. Plus tard, ces corvées purent être rachetées à prix d’argent, comme les prestations modernes, dont elles ne différaient pas seulement par le nom, mais par le chiffre de journées exigibles. Bien que le travail des « corvistes » fût suspendu pendant les saisons où la culture demandait tous ses bras, on ne peut évaluer le sacrifice imposé au peuple des campagnes à moins de cinquante jours par an sous Louis XV, tandis qu’il était seulement de trois ou quatre au XIXe siècle. Aux récalcitrans nulle amende n’était