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bord. De Cologne à Anvers, ils font marché avec un voiturier pour 200 francs.


VI

Ce voiturier, aux Pays-Bas comme en France, ne prenait sur son chariot que les ballots et les caisses ; il louait aux gens des chevaux ou des mulets. Le mulet qui tend à disparaître de notre civilisation, — à peine s’il en existe 300 000 en France, confinés pour les trois quarts en Provence, Dauphiné, Bas-Languedoc et Poitou, — tint grande place au moyen âge. On criait à Paris « du feurre aux mules, » paille destinée à ces animaux qui constituaient la voiture urbaine. Les baudets de Poitou et de Saintonge n’étaient pas seuls réputés, comme aux temps modernes ; beaucoup de provinces, l’Auvergne notamment, s’adonnaient avec succès à la production mulassière et les sujets hors pair se vendaient aussi cher que de beaux chevaux : 5 700 francs pour un mulet offert au Pape par le roi de Bretagne (877) ; 7 800 francs pour un autre acheté par le comte de Savoie (1377).

Les mulets noirs de Naples, servant, sous Louis XIV, à la « litière du corps » de la Reine, ne valent que 1 300 francs et, de tout temps, on s’était procuré, pour des chiffres variant de 300 à 700 francs, un mulet de selle solide et prudent comme il convenait dans les mauvais chemins d’autrefois. « Les guerres civiles, écrit un magistrat sous Louis XIII, ont été cause qu’on a quitté les mulets, moins dépenseurs, plus commodes, non tant sujets à se gâter et morfondre, pour prendre les chevaux, plus vites à la fuite et se sauver des emprisonnemens fréquens. »

Il faut chercher, je pense, d’autres motifs que celui-là au délaissement des mulets pour les chevaux du XVIe siècle, dont la généralité n’avait aucun train. Mal soignés, rossés de coups, les flancs labourés par l’éperon, les malheureux chevaux de louage ne faisaient qu’un médiocre service. Thomas Coryate, se rendant à Fontainebleau (1608), gémit sur son bidet qui ne veut plus avancer, tellement il est fatigué, et tous les voyageurs sont unanimes à ce sujet. Pour les chevaux du temps d’Henri IV, tenus à un minimum de 48 kilomètres par jour, sans qu’on pût exiger d’eux plus de 60, il semblait oiseux d’interdire de les mener autrement qu’au pas et au trot, sous peine de 200 francs