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romaine n’est une histoire universelle qu’à partir du moment où le sort de l’Univers dépend du sort de la Cité. Carthage réduite, la Grèce conquise, l’Afrique soumise, la Gaule domptée, l’Espagne, la Perse, la Germanie, la Bretagne dominées ou visées, voilà ce qui rend fatidique le long et laborieux enfantement. C’est au moment où Rome, au comble de ses succès, va fléchir sous le poids de sa victoire que naissent les historiens.

César, encore plongé dans l’action, est le narrateur à la fois de la conquête des Gaules et de la Guerre civile. Parmi ses tâches, il a reçu la mission de garder, pour la postérité, le récit actif de ce que furent les premiers contacts entre Rome et les nouveaux peuples qui devaient former l’Europe moderne ; et, comme les deux faits sont connexes, il expose les circonstances à la suite desquelles Rome, par lui, perdit la liberté.

César était prédestiné pour mener de front les deux œuvres et, les ayant conçues et accomplies, pour les expliquer et les glorifier, devant ses contemporains et devant la postérité. : Aristocrate de naissance très haute, il pouvait, sans déroger, se livrer au parti populaire ; sa jeunesse désordonnée à froid, sa « toge relâchée, » sa culture raffinée, une existence où l’audace et la corruption se fondaient en une élégance exquise, ses dettes, son ambition, tout le poussait ; sa fortune flottait sur la déliquescence universelle. Alcibiade de plus d’allure et sur une scène plus vaste, il comprenait tout, devinait tout. Il avait scruté son temps et, après les proscriptions alternatives de Sylla et de Marius, ne s’en laissait nullement imposer par les formules usées que ressassait l’humeur chagrine d’un Caton ; sa politique se résumait en ceci que Rome avait besoin de nouvelles conquêtes pour vivre et que la République, obligée par sa grandeur même de s’agrandir encore, étouffait dans l’étroite enceinte d’une Cité. Superbe intelligence, cœur vaste et conscience large, il avait tout ce qu’il fallait pour séduire le peuple, se sentir à l’aise avec lui et l’aimer, comme il aime à être aimé, sans sévérité, sans restriction, avec profusion.

La valeur individuelle ne fait pas tout le grand homme, — et quel homme a été plus comblé que César, orateur, écrivain, homme d’Etat, général, philosophe, plein de grâces, plein d’esprit, plein de courage ? Il ne suffit pas non plus de circonstances propices pour susciter le héros ; — et quelles circonstances furent plus favorables à un homme résolu, que la lassitude