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Mais dans l’exubérance de sa jeune force, elle défie la vie et goûte le présent. Elle le goûte, nous le voyons bien, avec une sorte de détachement, comme si elle passait à travers cette erreur sans s’y laisser prendre, sans s’y engager à fond. Si nous ne comprenons pas à ce moment-là, nous ne tarderons pas à comprendre qu’elle était réservée à un autre amour, — au véritable amour. Elle découvre bientôt la vérité sur George Cannon : cet aventurier a déjà abandonné quelque part une première femme ; coupable de bigamie, il n’est donc pas son mari légitime. Aussitôt, il lui apparaît comme un étranger ; elle se demande comment elle a pu, non pas l’aimer, — elle ne l’a pas aimé, — mais s’en laisser aimer ; elle comprend pourquoi tout cela lui a toujours semblé irréel, et elle éprouve un sentiment de délivrance, comme si elle se sentait affranchie « des conséquences d’une faiblesse et d’une erreur tragique. »

Comment Hilda sort de cette épreuve, nous le voyons bientôt, quand elle retrouve Edwin Clayhanger. Leur première rencontre remonte beaucoup plus loin, et M. Arnold Bennett nous en a fait le récit dans le roman consacré à son jeune héros. Edwin est alors un garçon de vingt-trois ans, mince, de taille moyenne. Il porte de gros souliers, son pantalon fait des faux plis, son gilet ne dissimule rien de ce qui en garnit les poches, — montre, crayon, canif, etc. — son faux-col tire sur le bleu et disparait en arrière sous la jaquette qui remonte dans le cou ; les poches de cette jaquette sont bourrées et gonflées de mystérieuses marchandises. Les cheveux blonds sont durs et ne frisent pas ; la moustache compte si peu qu’on n’est pas bien sûr si c’est une moustache ou si le garçon a reculé devant l’ennui de se raser. Il remue toujours, et ses mouvemens sont gauches, les articulations des mains trop saillantes, les ongles trop courts. Il y a de la tristesse dans sa bouche et aussi, avec quelque chose d’attirant, dans ses yeux. Edwin est sérieux, candide et fruste. Nous le connaissons depuis l’âge de seize ans et nous l’avons vu pour la première fois le jour qu’il a quitté l’école. Il avait cette expression ardente, ce merveilleux air d’innocence et de simplicité qui est la marque ordinaire des adolescens de son âge. Les gens qui le voyaient passer alors avaient déjà tous une bonne opinion de lui ; mais ils ne pouvaient pas voir « cette flamme intérieure qui brûle comme une lampe d’autel et dont rien sur terre ne surpasse le miracle et la