La fin de Darius Clayhanger n’est pas, à sa manière, moins émouvante. Le travailleur robuste et heureux est frappé à la tête. Après une sorte d’attaque, le cerveau se ramollit lentement, et le mal mystérieux, impitoyable, chemine, comme s’il voulait détruire jour à jour ce prestige d’autorité et d’orgueil qu’une vie courageuse avait lentement édifié. Darius sauve d’abord les apparences ; il est un maître qui se repose : tout se fait en son nom. Mais voici qu’il lui faut peu à peu abandonner tous ses privilèges : hier il a donné ses clefs ; aujourd’hui il va à la banque pour une dernière signature, qui est celle de son abdication : et les employés le regardent comme une victime au licou. Toujours un peu plus, et complètement à la fin, il est mis de côté, « laid aside : » c’est le titre d’un des chapitres. A mesure que la maladie avance et pèse sur tous, quand le père ne va plus que jusqu’à un vieux fauteuil d’osier qu’on a placé pour lui au bout du jardin, ceux qui l’entourent, ceux qui le soignent, ses propres enfans, Edwin et Maggie qui sont toujours là, ont besoin de faire un effort « pour se rappeler à temps qu’il est une victime, et non pas un criminel. » Un soir, il monte son escalier pour la dernière fois, et la difficulté de l’expédition ne lui laisse pas de doute : « Je ne redescendrai plus jamais cet escalier. » Le lendemain, plus triste et plus affaibli encore, après une nuit d’insomnie pendant laquelle il a sonné pour ne pas rester seul, dans un accès d’attendrissement qui accable sa pauvre sensibilité défaillante, avec des pleurs qui l’étouffent, des mots qui ne peuvent sortir, une lutte de tout son être, des gestes désespérés et des silences, il donne sa belle montre en or à Edwin et demande celle du jeune homme en échange. Tant de scènes douloureuses ne sont rien encore, et la dernière impression les domine toutes, quand on arrive à l’agonie. M. Arnold Bennett, avec son réalisme ordinaire, s’est servi ici d’un phénomène qui se produit en effet quelquefois dans les maladies de l’encéphale et qu’il nous donne lui-même sous son nom scientifique : le phénomène respiratoire de Cheyne-Stokes. Ce trouble de la respiration, qui se manifeste par des arrêts suivis de reprises, au cours desquelles le souffle, très faible d’abord et superficiel, s’accroît en amplitude et en profondeur jusqu’à emplir la poitrine comme s’il allait la faire éclater, puis diminue de nouveau et semble échapper à l’impuissance du malade, — n’est-ce pas le symbole tragique d’une