Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 17.djvu/900

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans le monde où jeune fille elle accompagne sa sœur, tout en elle annonce cet avenir ; aussi elle est bientôt éclipsée par sa cadette dont la beauté plus vivante, provocante et hautaine, cause déjà des ravages parmi ses adorateurs : « Vous donnez la mort, » dit à Isabelle dans un sonnet emphatique un poète du temps. Elle connaît l’étendue de son pouvoir ; elle l’exerce avec une rare audace, au gré de sa fantaisie, tour à tour cruelle et tendre, sans crainte de faire endurer à quiconque est fasciné par son regard toutes les tortures de la jalousie, et restant dans ces intrigues assez maîtresse d’elle-même pour ne pas souffrir du supplice qu’elle impose à ceux sur qui s’opère sa séduction. Sous sa coquetterie raffinée, elle cache une âme capable de ressentir les effets des passions qu’elle inspire, mais capable aussi de calculer les profits qu’elle en peut retirer dans le présent et dans l’avenir. Elle se sait sans fortune ; elle n’ignore pas qu’en dépit de l’illustre nom qu’elle porte, son établissement sera difficile, et qu’elle ne devra qu’à ses beaux yeux de le trouver tel qu’elle le souhaite. Aussi ne s’attarde-t-elle guère à écouter les hommages qui ne le lui promettent pas. Lorsque, par exemple, elle croit deviner que le jeune Duc d’Enghien, son cousin, n’est pas insensible à ses charmes, elle a vite fait de comprendre que ses attentions ne pourront aboutir qu’à une amourette sans issue possible, puisque, d’une part, il est marié et que, d’autre part, il est attelé au char de la douce et mélancolique Marthe du Vigean ; elle se dérobe spontanément avec assez d’habileté pour faire naître entre elle et le prince une amitié confiante et forte sur laquelle se greffera bientôt un dévouement réciproque, qui deviendra le mobile de la plupart de ses actions. Du reste, elle ne tardera pas à être dédommagée de son léger sacrifice, car, de l’amitié qui en est le prix, elle va recevoir un service considérable.

C’est à la fin de l’été de 1643 qu’elle avait revu le Duc d’Enghien à l’hôtel de Condé. Nommé six mois avant généralissime de l’armée du Nord à l’âge de vingt-deux ans, il rentrait de sa glorieuse campagne contre les Espagnols, couronnée, grâce à lui, par la victoire de Rocroy et la prise de Thionville, succès foudroyans qui, au lendemain de la mort de Richelieu et de Louis XIII, tiraient la France des périls redoutables qui la menaçaient et paraient d’une auréole les débuts de la régence d’Anne d’Autriche. Autour du jeune vainqueur à qui la ville et