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la Cour faisaient fête, se pressaient quelques-uns de ses compagnons d’armes, jeunes et brillans comme lui, et parmi eux, Gaspard de Coligny, comte d’Andelot, descendant direct du fameux amiral et fils du maréchal de Châtillon. « Joueur, débauché, violent, a écrit le marquis de Ségur en parlant de celui-ci, la mine d’un grand seigneur avec l’âme d’un soudard, » il passait pour le personnage le plus considérable du parti huguenot. Des quatre enfans qu’il avait eus de son mariage avec Anne de Polignac, Gaspard d’Andelot, « beau, bien fait et brave au dernier point, » était celui qui donnait les plus grandes espérances. Maréchal de camp à vingt-trois ans, associé par ses exploits, durant la dernière campagne, à la gloire du Duc d’Enghien, qui le considérait comme son meilleur lieutenant, sa réputation militaire l’avait mis en vedette non moins que ses succès auprès des femmes. On citait parmi ses maîtresses Ninon de Lenclos dont il avait été le premier amant et Marion de l’Orme.

Tel il était, lorsque, à l’hôtel de Condé, il rencontra Mlle de Bouteville. Il s’en éprit en la voyant et dans l’ardeur de sa passion, il sollicita sa main sans même se demander si ses parens donneraient leur consentement à une alliance qui ferait entrer dans leur famille dévouée au calvinisme une fille catholique et par surcroit sans fortune. Avec un égal oubli de ce qu’elle devait à l’autorité de sa mère, Isabelle accepta ses hommages qui flattaient son orgueil et auxquels répondaient les sentimens de son cœur. Des promesses furent échangées, dont le Duc d’Enghien fut le premier confident. Ami de ces deux amoureux qui se considéraient déjà comme des fiancés, il leur promit son concours et son appui pour faciliter leur mariage et vaincre la résistance de leurs parens.

Les récits du temps nous ont conservé le souvenir des nombreux incidens qui suivirent : l’opposition des deux familles, l’éloignement imposé par le maréchal de Châtillon à son fils pour lui faire oublier sa belle, l’inutilité de ces efforts, la conversion de Gaspard au catholicisme et comment Isabelle et lui, résolus à s’épouser, recoururent au seul moyen qui s’offrît à eux d’arriver à leurs fins, en mettant leurs parens en présence du fait accompli. Pendant le carnaval de 1645, un soir en rentrant d’un bal, la jeune fille fut bel et bien enlevée, à la porte de l’hôtel de Valençay, sous les yeux de sa mère et de sa sœur,