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Sur la côte voisine, les ports valent bien moins encore ; de l’un à l’autre, j’ai passé et pense qu’on ne saurait se tromper sur leur valeur. Antivari est un assez bon port de commerce, à l’abri des vents du Sud, mais peu défendable ; Dulcigno n’est qu’une crique ensablée ; à Saint-Jean-de-Medua, les vents rejettent les alluvions du Drin, qui envahissent progressivement la rade très médiocre ; à Durazzo, le navire reste en mer pour débarquer passagers et marchandises à 300 mètres du rivage. Mais il n’y a pas en ce lieu de rivière qui ensable la côte ; en opérant des draguages et des travaux, on pourrait faire un port convenable ; toutefois, il est livré sans défense aux vents du Sud. Une jetée pourrait y être construite, mais Durazzo restera toujours un port ouvert aux vents et propice aux attaques. Pour compléter cette énumération, il ne reste plus que Vallona. Or sa baie constitue un port naturel superbe et vaste, en eau profonde, sans rivière qui l’ensable ; l’île montagneuse de Saseno est une défense naturelle vers le large. Une minuscule jetée et quelques draguages suffiraient à constituer la plus belle rade de l’Adriatique, la plus sûre et la plus facilement défendable. C’est en ce lieu qu’était jadis Oricum, Porto Raguseo, où les habitans émigrèrent quand le fleuve Vopusa, apportant ses dépôts au port d’Apollonia, l’ensabla et éloigna le rivage. On voit encore, non loin de Vallona, sur une petite éminence quelques ruines très médiocres, quelques colonnes, restes de cette ancienne ville où passait jadis la ligne côtière. Alors que toute la côte jusqu’à Antivari a repoussé la mer et s’est avancée de plusieurs dizaines de kilomètres depuis l’époque romaine, la baie est restée la même rade profonde et protégée, qui attend le dominateur qui saura l’utiliser.

Dès lors, qui ne comprend la valeur de Vallona ? Le canal d’Otrante est la porte de l’Adriatique et Vallona en tient la clef. Embusquée dans ce port, une force navale ferme et ouvre le canal large d’environ 70 kilomètres seulement. Vallona deviendrait-il la possession d’une autre Puissance que l’Italie ? C’est, en cas de guerre, l’Adriatique fermée à celle-ci, les escadres de Tarente arrêtées au défilé et toute la côte italienne d’Otrante à Venise tenue sous la menace d’une flotte étrangère, cachée à six heures de mer. Il est vrai que si Vallona tombait au pouvoir du royaume, les flottes autrichiennes seraient embouteillées dans l’Adriatique, car, à la quitter, elles risqueraient