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religieuse et la paix sociale. Caritas et pax, telle est ma devise. » Ainsi s’exprime Anatole Leroy-Beaulieu à la fin de la préface d’Israël chez les Nations. Et, de fait, tous ses livres sur les questions sociales, religieuses et morales ne sont, à les bien prendre, qu’un seul et même livre, un seul et même combat pour la justice et la paix. Son âme idéaliste, son intelligence nourrie en un temps de confiance optimiste en la « liberté, » assista avec un étonnement douloureux à l’explosion des haines sociales, nationales ou religieuses : commune de Paris, socialisme, anticléricalisme. Il fut blessé dans la délicatesse de ses sentimens les plus intimes, les plus personnels, par ces déchaînemens de passions et de violences ; il fit un effort méritoire pour les comprendre tout en les combattant. Israël chez les Nations[1] est un chef-d’œuvre de haute impartialité et d’information scrupuleuse. Pour connaître et peindre la vie juive, il voulut voir de ses yeux toutes les principales communautés israélites d’Europe, pénétrer dans les ghettos les plus sordides, interroger lui-même les rabbins, les membres les plus représentatifs des colonies juives, sur leurs idées, leurs tendances, leurs croyances, leurs mœurs. La première règle de l’honnêteté professionnelle, pour un écrivain politique, c’est de se renseigner exactement, d’envisager tous les aspects du sujet qu’il aborde : personne n’a observé cette règle, dans un sujet plus délicat, avec plus de conscience qu’Anatole Leroy-Beaulieu. L’abondance des renseignemens pris sur le vif, des impressions personnelles, donnent à son livre un intérêt durable et le fera vivre comme un témoignage véridique sur l’état social des Juifs d’Europe à la fin du XIXe siècle.

Dans son ardeur à redresser les injustices, Anatole Leroy-Beaulieu ne concède même pas à James Darmesteter que le Juif ait été un agent de destruction des sociétés vieillissantes et qu’il ait ainsi travaillé à en faire sortir des sociétés nouvelles et supérieures ; ce rôle historique, dont le grand écrivain et philologue juif fait gloire à Israël[2], et dont les antisémites lui font grief au nom du droit de légitime défense des sociétés nationales contre les élémens hétérogènes qui menacent leur homogénéité et leur existence, Anatole Leroy-Beaulieu le conteste. Il ne voit, dans l’antisémitisme, qu’une aberration du

  1. Calmann-Lévy, 1893, in-12.
  2. Voyez la brochure : Coup d’œil sur l’histoire du peuple juif, 1881, réimprimé dans les Prophètes d’Israël, 1892. — Cf. Israël chez les nations, p. 58.