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sentiment populaire dans les démocraties modernes ; il le combat comme un sentiment bas, indigne d’un peuple civilisé et libre, comme une injustice dont un chrétien doit rougir, comme un danger enfin, car il risque de détourner l’énergie des peuples modernes de la réforme morale interne qui seule recèle le secret de leur salut.

« Elles sont malades, s’écrie-t-il, nos sociétés contemporaines, plus malades, peut-être, que ne l’imagine le plus convaincu des antisémites. L’erreur de l’antisémitisme est de se méprendre sur les causes du mal et sur le siège du mal. Il n’en aperçoit et n’en veut apercevoir qu’un symptôme, et ce symptôme, il le prend pour le principe morbide. L’antisémitisme est essentiellement « simpliste » comme on dit aujourd’hui : la complexité des phénomènes sociaux lui échappe, et cette infirmité, qui devrait être sa condamnation, est pour beaucoup dans ses succès près du populaire, dont la simplicité se laisse toujours séduire à ce qui lui semble simple... Il n’est pas vrai que, pour rendre la santé aux nations modernes, il suffise d’en retrancher le Sémite, comme le fer d’un chirurgien extirpe un kyste ou une excroissance maligne. Le mal est autrement grave et autrement profond. Le mal est en nous-mêmes, dans notre sang, jusque dans la moelle de nos os ; ce n’est pas un corps étranger qu’il suffise, pour guérir, d’enlever de nos chairs. Les Juifs seraient jusqu’au dernier bannis de la terre de France, Israël aurait disparu de la face de l’Europe que la France n’en serait guère plus saine, ni l’Europe mieux portante. La première chose, pour guérir, c’est de connaitre sa maladie. Or, l’antisémitisme nous fait illusion ; il nous aveugle sur nous-mêmes en s’efforçant de nous faire croire qu’au lieu d’être en nous, la cause de notre mal est hors de nous. Pas d’erreur plus dangereuse... »

« L’avènement de la justice sur la terre a été le rêve de Juda ; » c’est aussi celui d’Anatole Leroy-Beaulieu, et c’est de ce point de vue qu’il est revenu, à plusieurs reprises, sur la question juive, par exemple dans l’Antisémitisme, conférence faite à l’Institut catholique de Paris, le 27 février 1897[1], et dans un chapitre des Doctrines de haine, qui est aussi une conférence faite à l’École des Hautes Études sociales[2]. On était alors en

  1. Calmann-Lévy, 1 vol. in-16 ; 1897.
  2. Les doctrines de haine. L’antisémitisme, l’antiprotestantisme, l’anticléricalisme ; Calmann-Lévy, 1902, 1 vol. in-16.