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effet la soumission presque sans coup férir des tribus révoltées. Or, nous sommes ici les maîtres des terrains de pâturages ; autour de nous se trouvent de nombreux silos, dont nous ignorons encore les emplacemens exacts, mais dont nous interdisons l’approche. Nous pouvons ainsi réduire les dissidens par la famine. Ils le savent, et ils ne tarderont pas à capituler. » Et, sur un geste d’Imbert, il reprit : « Je sais bien que notre attitude n’a rien de positivement héroïque. Mais nous ne cherchons que le résultat. Le Maroc est trop près de la France pour que nous agissions comme au Soudan : l’opinion publique ne veut pas, ici, de combats meurtriers. Les deux dernières affaires nous ont coûté 20 tués et 50 blessés, dont la moitié environ sont des Français ; il ne faudrait pas beaucoup de rencontres semblables pour rendre le Maroc aussi impopulaire que le Tonkin ou Madagascar. — Vous avez tout à fait raison, mon commandant, dit Merton. D’ailleurs, les soumissions seraient déjà faites, si les dissidens croyaient que nous voulons occuper définitivement leur pays. Mais, l’an dernier, une colonne a déjà traversé ce district. Ils espèrent que nous ferons de même, et ils attendent notre départ. Pour rester indépendans, ils supporteront bien quelques semaines de privations. La création immédiate d’un poste leur démontrerait la vanité de leurs espérances. — Hél sans doute ! Mais c’est impossible tant que El Hibba rôdera autour de Marrakech. » Imbert allait protester, quand le chef des Renseignemens apparut, l’air joyeux : « Mon commandant, bonne nouvelle ! Un indicateur a promis de nous montrer des silos de dissidens. Le colonel a décidé de les faire vider par les partisans qui pourront nous vendre l’orge dont il leur fait cadeau. Cette générosité doublera leur zèle, et les Subsistances qui sont à court en profiteront. — Bonne affaire ! dit Imbert. Cette fois, les dissidens vont enfin être frappés à l’endroit sensible. — Et ils se hâteront de nous demander l’aman, » conclut le commandant du cercle, qui avait l’esprit déductif.

Dès le lendemain, au point du jour, le groupe d’Imbert allait protéger l’opération que les arabisans de la colonne, par un néologisme hardi, dénommaient « rittelage » des silos. Pointis avait obtenu sans peine l’autorisation d’y assister, et les soldats s’égayaient du bon tour qu’on allait jouer aux dissidens. Une foule miteuse d’individus et d’animaux suivait en