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désordre la troupe, et Pointis constata, non sans surprise, qu’elle augmentait rapidement : « D’où viennent donc tous ces gens-là ? » demanda-t-il à Merton qui chevauchait à côté de lui. Il montrait des taches noires qui dévalaient à toute vitesse, par monts et par vaux, et venaient se perdre dans la cohue. C’étaient des vieilles femmes, des hommes sans âge, des enfans ; ils poussaient des bourricots, des mulets antiques, des chameaux perclus, et louaient Allah qui leur avait permis d’arriver à temps, ils partageaient avec les partisans les bissacs vides dont ils étaient pourvus et qui devaient servir au transport du butin. Plusieurs avaient de longues tarières pour sonder les emplacemens de silos.

Merton avait déjà questionné l’un des caïds qui menaient ce peuple à la curée. Il sut donc expliquera Pointis le motif d’une telle affluence. Le projet de « rittelage » et la générosité du colonel avaient couru comme une tramée de poudre dans le camp des partisans. Pendant la nuit, des envoyés courageux et rapides avaient porté l’heureuse nouvelle dans les douars soumis. Aussitôt, des travailleurs bénévoles s’étaient mis en route par des sentiers sûrs, pour aider aux recherches et augmenter le profit. Pointis comprit alors que la constance de nos ralliés avait surtout pour mobile l’espoir de « manger le voisin. »

Sur une ondulation largement étalée le guide s’arrêta : « C’est ici, » dit-il à Imbert qui disposa sans retard sa troupe comme un vaste réseau protecteur autour du mers. Les soldats gouaillaient en allant sur les positions assignées au détachement, et « cherchez la grange ! » était le rébus affolant que les anciens proposaient avec astuce aux nouveaux débarqués. Pointis, rebuté par l’énigme du sol couvert de palmiers nains et de chaumes, renonçait à la résoudre et, trop prompt à conclure, il soupçonnait quelque mystification.

Cependant, la théorie des « ritteleurs » était arrivée près du champ qui abritait les silos convoités. Merton, que le chef des Renseignemens avait délégué comme arbitre des querelles probables et surveillant général des opérateurs, arrêta la caravane pour lui adresser une harangue éloquente et concise : « Tout ce que vous trouverez est à vous, et vous pourrez le vendre au Lieutenant de l’Administration. : Vous serez payé sans délai. » Et, se tournant vers Pointis ! « Je crois qu’ils ont compris, dit-il. Regardons-les travailler. »

Comme une volée de moineaux, tous s’étaient éparpillés sur