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enfin que, même en possession de ces richesses, les troupes d’une colonne considérable ne peuvent « vivre sur le pays » et que leur existence dépend toujours de la régularité des convois.

Ces convois étaient le cauchemar d’Imbert, car ils s’exécutaient avec un grand appareil militaire, sur la paisible route de Camp-Marchand où l’escorte allait camper. En même temps qu’aux malades évacués par l’Ambulance, aux tonnelets vides des Subsistances, elle assurait la sécurité à nos amis indigènes qui cherchaient pour leur orge, dans le poste voisin, un acheteur officiel plus généreux que l’officier d’approvisionnement de la colonne. Officiers et soldats ne se privaient pas de faire des réflexions narquoises en contemplant les théories de mules ou de bourricots chargés du grain des dissidens, qui partaient d’Hadjerat-ben-Naceur pour y revenir le lendemain avec le même fardeau. Convoi libre à l’aller, convoi administratif au retour, la rubrique seule changeait. Et l’invraisemblable cupidité des Marocains était démontrée par le maigre bénéfice de deux ou trois pesetas acquis au prix de deux journées de marche fatigante sous un soleil ardent.

Le pillage méthodique des grains, exécuté sous la protection de la colonne, donnait donc aux partisans les moyens de spéculer gratuitement contre elle. A ces opérations exemptes de risques s’usait toute leur ardeur guerrière. Ils n’étaient plus assez belliqueux pour aller en nombre, dans les forêts à peu près sûres de l’Ouest, y chercher des provisions de bois que le service des Subsistances leur aurait pourtant payé cher. On devait donc mobiliser fréquemment un groupe tout entier qui rapportait à la fin de la journée, sur les animaux disponibles, le bois indispensable au chauffage du four et à la cuisson des alimens. Convois, corvées de bois et « rittelage » sans l’attrait des coups de fusil étaient ainsi les seuls passe-temps de la colonne qui semblait fixée pour toujours sur son rocher. Les partisans, eux, trouvaient l’existence belle ; mais leur couardise et leur paresse étaient sévèrement jugées dans le camp : « Pourquoi garde-t-on de si coûteuses inutilités ? demanda un jour Imbert qui aimait s’instruire. — Eh ! tant qu’ils sont avec nous, ils ne sont pas contre nous, lui répondit-on. De plus, quoique les dissidens ne connaissent pas la fable du Loup et du Chien, ils comparent avec envie leur sort misérable à celui des partisans. En politique, nous ne devons rien négliger. »