Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/138

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tant de patience et de machiavélisme devaient enfin être récompensés. Un matin, Pointis qui était allé aux nouvelles accourut tout affairé : « Imbert ! venez vite ! Les bourgeois de Calais sont dans le camp ! — Que voulez-vous dire ? demanda sans s’émouvoir son ami qui rédigeait un rapport sur une vague escarmouche de la veille où, selon la formule, l’ennemi avait été repoussé « avec des pertes sérieuses. » — Vous ne comprenez pas ? Une tribu sollicite l’aman : tout l’état-major est en révolution ! » Intrigué, Imbert abandonna ses papiers et se mêla au flot de curieux que l’événement attirait vers la tente du colonel.

Une demi-douzaine de Marocains, à pied et sans armes, entourés par des partisans amènes, conféraient avec le chef des Renseignemens, qui leur révélait les conditions éventuelles du pardon. Avec une énergie verbeuse, les parlementaires signifiaient qu’ils étaient prêts à tout accepter. Ils juraient que le gouvernement n’aurait pas désormais de fils plus soumis et plus dévoués, et ils montraient, en signe de leur humilité repentante, le taureau traditionnel qu’un « meskine » conduisait. L’accord préparatoire ainsi conclu, on les présenta sans retard au colonel, qui les félicita de leur décision et leur vanta les douceurs de la paix dont les bienfaits inonderaient prochainement le pays Zaër : « Nous sommes les enfans du gouvernement, et le colonel est pour nous un père ! » clamaient à l’envi les délégués de la tribu. Et, selon le rite, ils se préparaient à couper les jarrets du taureau pour faire agenouiller la pauvre bête en symbole de leur soumission, mais on leur déclara que les mœurs françaises répugnaient à la tuerie en détail. Ils crurent alors que cette sensibilité masquait un refus poli de l’aman, et ils en témoignèrent une vive contrariété. L’interprète se hâta de les rassurer et les congédia, non sans appeler sur eux les bénédictions d’Allah. Mais le plus âgé des parlementaires jugea le moment favorable pour exposer la requête qui résumait les désirs des dissidens et que, fidèle aux usages de la civilité marocaine, il avait réservée pour la fin. « Puisque le colonel est juste et miséricordieux, dit-il, qu’il nous délivre du caïd qui se prétend notre chef ! Il a « un gros ventre » et c’est à cause de lui que nous étions dissidens. »

Or, le caïd affectait depuis le début de la scène la joie exubérante du père biblique au retour de l’enfant prodigue. A cette accusation inattendue, il répondit par des protestations