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sombres ifs et des charmilles indéfinies servant de fond aux statues, la symétrie de ces « éternelles allées » (le mot est de Delille), ne menant jamais à l’imprévu. C’était le lieu commun des connaisseurs : « Versailles est triste, écrivait le prince de Ligne ; mais le plus grand des rois et le roi du plus beau pays ne peut guère avoir d’habitation traitée autrement. » Le vicomte d’Ermenonville allait plus loin et n’acceptait même point l’excuse de la majesté : « Le Nôtre, dit-il, a massacré la nature ; il a inventé l’art de s’entourer à grands frais d’une enceinte d’ennui. »

Comment s’étonner qu’une jeune reine, excitée par des propos excessifs, fit bon marché de cette grandeur dont elle ne comprenait pas le sens ? À la Cour, à peine quelques esprits indépendans, comme le duc de Croy, résistaient-ils à ce dénigrement de bon ton, admis partons. Chacun préférait s’en tenir au jugement du prince écrivain, qui en ces termes sacrifiait à peu près toutes les maisons de France : « On est étonné, on est ravi ; mais ce ravissement passe bien vite. Elles perdent à l’examen. On a tout vu d’abord ; on s’y ennuie ; elles se ressemblent toutes. De malheureuses règles mal entendues ont produit une patte d’oie, un parterre, des bosquets à la droite pareils aux bosquets de la gauche. Des arbres épuisés, des charmilles languissantes, des chemins labourés où l’on ne peut pas se promener, une verdure malsaine, du foin au lieu de gazon, des découpures qu’on y ménage maladroitement pour les détacher ; des jardins enfin, qui ressemblent à ceux que l’on met sur nos desserts. Encore j’aimerais mieux nos cristaux, puisqu’ils ont l’air d’avoir au moins de l’eau, et qu’elle manque presque partout. J’oubliais des plantations ridicules, des dessins, des festons, de malheureuses haies en broderies qui n’ont pas le sens commun, et, autour de cela, une muraille qui ôte la vue de la campagne. Hélas ! elle dédommagerait au moins de tout ce que ces parcs, superbes aux yeux des voyageurs imbéciles, m’offrent de triste et de mal entendu… »

Cet état d’esprit ne datait point des dernières années. On est surpris de le trouver pleinement développé dans un ouvrage qui faisait autorité depuis le milieu du siècle, l’Essai sur l’Architecture du P. Laugier. Ce jésuite, au service du roi Stanislas, a institué le premier la critique rigoureuse et complète de Versailles. Après avoir loué les chefs-d’œuvre de sculpture qu’on y