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rencontre à chaque pas, il se demande si ses jardins ont « de quoi fournir aux plaisirs de l’âme et à l’amusement des yeux un agréable et riant spectacle. » « Si la richesse des bronzes et des marbres, ajoute-t-il, si la nature étouffée, ensevelie sous un appareil outré de symétrie et de magnificence, si le singulier, l’extraordinaire, le guindé, l’ampoulé, font la beauté d’un jardin, Versailles mérite d’être préféré à tout. » L’écrivain de la cour de Lunéville dresse la liste des très graves reproches qu’on fait à l’œuvre de Louis XIV, et quelques-uns sont pour nous surprendre : sa situation dans « cette vallée étroite, tout environnée de montagnes et de lugubres forêts ; » son caractère « trop renfermé, » qui tient toujours le promeneur « comme entre quatre murailles, » à cause des palissades de charmilles, « dont l’alignement et la hauteur font d’une allée une rue très ennuyeuse ; » l’ensemble de la verdure, qui n’a point « de vivacité et de fraîcheur ; » les parterres de broderies dessinés en cordons de buis et garnis de fleurs « assez médiocres. » Le manque d’eau est le principal défaut de ces jardins, où l’on a tant travaillé pour l’amener : « Versailles même, écrit le prince de Ligne, quand on examine ses bassins, où il y a souvent de l’herbe, a l’air de la décadence. » Mais quelles eaux artificiellement disposées trouveraient grâce devant le P. Laugier ? Il se plaint avant tout de ne rencontrer jamais, autour du palais de Louis XIV, les charmes « d’une rivière ou d’un ruisseau qui, par ses divers bouillons et cascades, nous amuse, nous parle, nous captive et nous fait rêver. » Le jésuite de Stanislas est merveilleusement d’accord avec Jean-Jacques ; il nous livre le grief principal des contemporains contre Versailles et contre l’ancien Trianon, tout remplis de « ce grand air de symétrie » et si résolument étrangers « à la belle nature. »


De tels jugemens, portés par les voix autorisées du siècle, étaient arrivés à faire loi. On ne voyait plus dans Versailles qu’une « prison des rois, » selon un mot de Ligne qui a dû frapper l’imagination de Marie-Antoinette : « Un cri général, écrit Duchesne en 1773, déclare ennuyeuse la promenade dans les bas du jardin ; et, ce qui est encore plus décisif, on les abandonne. » L’auteur du traité Sur la formation des Jardins en donne plusieurs raisons précises, qui inviteront à appliquer au Petit-Trianon des principes tout contraires « L’uniformité