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Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/162

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dessin très travaillé que j’avais envoyé à cet effet. » Peu de temps après, il était avisé par M. de Noailles que la Reine viendrait voir sa maison le lendemain, 22 juillet, à cinq heures de l’après-midi.

« Malgré l’honneur, raconte-t-il, que me faisait une pareille visite, je fus très embarrassé. La sécheresse était extrême ; les gazons de ce jardin étaient grillés ; les feuilles des marronniers et des tilleuls étaient jaunes, et, comme je n’habitais pas ma maison l’été, ce jardin était négligé. Je partis le 21 au soir, et je commençai à faire couper, rouler et arroser mes gazons, ôter les feuilles mortes, placer les pots de fleurs que j’envoyai acheter chez le fleuriste et ceux que me prêtèrent mes voisins, au milieu des arbustes touffus, dont ils semblaient être la production, parce qu’on voyait des giroflées sortir d’un buisson de lilas, et des roses trémières d’une masse de seringas. Une belle tente fut établie sur une sommité de gazon ; les cordes étaient des guirlandes de fleurs naturelles, et des festons de semblables fleurs étaient placés avec grâce autour du sommet de la tente. Des orangers, des lauriers-roses en fleurs et des jasmins d’Espagne entouraient cette tente, sous laquelle une table ronde, avec une corbeille de fleurs et des assiettes, et couverte de vermeil, portait une collation et des glaces. Mes parterres furent garnis de fleurs, qu’on me loua et dont les pots furent enterrés dans les plates-bandes de façon qu’on croyait qu’elles étaient plantées naturellement dans ces plates-bandes. Les appartemens furent tous garnis de fleurs, ainsi qu’un joli pavillon au bout du jardin, qui fut peigné et ratissé avec le plus grand soin. La matinée du 22, les orages ne cessèrent sur le gazon qu’une heure avant l’arrivée de la Reine, et je dois dire en vérité qu’en douze heures de temps ils reprirent leur verdure à force d’eau. Tous les gens de la maison, les voisins, les amis, tous se réunirent pour m’aider. » Le tableau n’est-il pas charmant de cette émotion joyeuse de tout un quartier, où chacun prend sa part de l’honneur royal fait au voisin ?

Mme du Deffand, qui a recueilli les propos en sa maison de Saint-Joseph, les rapporte à Mme de Choiseul et insiste sur les grâces de l’auguste visiteuse : « Elle avait avec elle Madame, Mmes de Durfort et de Pons. Les princesses Clotilde, Elisabeth et Mademoiselle l’accompagnèrent. Mme de Beauvau, qui lui avait inspiré cette curiosité, l’attendit dans la maison avec son mari