Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/163

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour la recevoir. M. de Caraman, averti dès le matin, vint tout préparer. Comme Mme de Beauvau avait mandé que la Reine ne voulait voir personne, Mme de Caraman n’osait se rendre chez elle. Mme de La Vallière jugea qu’elle devait y venir ; elle arriva un quart d’heure avant la Reine, qui la traita à merveille... et charma tout le monde. » M. de Caraman note d’autres détails : « La Reine étant en deuil, je ne pouvais avoir de la musique dans ce jardin ; mais j’établis deux orchestres, l’un de flûtes, l’autre de cors de chasse, dans des appartemens du Palais-Bourbon, de l’autre côté de la rue, et ce concert étonnant et éloigné fît le plus grand effet, sans offenser la règle du deuil. Enfin, outre la collation de la Reine et de la compagnie, j’en fis préparer une superbe pour les écuyers et les gardes ; et les valets de pied, cochers et postillons eurent aussi un goûter dans la cour. Mes jolies petites filles, coiffées de fleurs, présentèrent un bouquet à la Reine sous le nom de filles du jardinier et lui firent de jolis complimens. Elles chantèrent le trio de Zémire et Azor et, malgré l’étiquette, furent admises à la collation royale, où les glaces furent trouvées excellentes. La Reine resta près de deux heures à se promener, à prendre des glaces et à faire la conversation avec Mme de Caraman, qui était venue de Roissy. » Le comte ajoute qu’il fut confirmé ce jour-là dans sa charge de « directeur des jardins de la Reine, » et qu’il se rendit dès le lendemain à Trianon, pour s’entendre avec l’architecte sur l’ensemble des travaux.

La visite de Marie-Antoinette chez les Caraman jeta le plus grand trouble parmi les agens réguliers du service des Bâtimens du Roi ; ils se croyaient seuls chargés de lui fournir des idées et l’intervention de l’amateur parisien causa une déception cruelle. A la vérité, Sa Majesté s’était adressée d’abord à leur compétence et, si elle ne suivit point leurs conseils, c’est qu’on ne sut pas deviner ses désirs. Comment demander à Antoine Richard, par exemple, de sacrifier sans réserve, ainsi qu’il était pourtant nécessaire, l’œuvre botanique de son père et la sienne ? On comprend qu’il ait essayé d’en garder quelque partie dans le plan qu’il proposa, sans se troubler d’un fâcheux désaccord entre les vitrages des grandes serres et les ornemens dont il peuplait le nouveau jardin. Son dessin était tout à fait à la mode anglaise et l’on pouvait se fier à lui pour appliquer