Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/164

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rigoureusement les préceptes d’outre-Manche, car il les avait étudiés avec passion à Kew et à Stowe, à l’époque où se propageait en Angleterre ce qu’on croyait être l’imitation des jardins de la Chine. Cette imitation, au reste, devait produire des erreurs extraordinaires. Au principe déjà contestable de grouper artificiellement dans un même lieu tous les accidens pittoresques de la nature, montagnes, rochers, cascades, lacs et rivières, les théoriciens anglais unissaient la singularité d’y accumuler les « fabriques » les plus diverses. Obélisques, pyramides, colonnes, temples ruinés, ponts chinois, kiosques et pagodes s’y mêlaient aux statues allégoriques, aux faux monumens funéraires, aux fragmens arbitrairement disloqués de l’architecture de tous les temps.

Les Français, qui s’engouèrent un instant de ces amusemens, ne devaient pas tarder à en comprendre l’absurdité : « Ce genre, écrit en 1776 le sage Morel, par l’abus qu’on en fait, est peut-être le plus dangereux de tous et ne saurait exister longtemps. En rejetant les jardins symétriques, on leur a substitué des compositions bizarres ; on les a remplis d’une multitude de fabriques placées sans ordre, distribuées sans goût, sans principes et sans intention. On a réuni les costumes et les édifices de tous les siècles, de tous les pays ; on a associé la mythologie à l’histoire ; on a mis les temples grecs avec les églises ; les palais se sont trouvés à côté des chaumières ; l’Asie est confondue avec l’Amérique... On a cru faire des prodiges, en chargeant les tableaux d’objets disparates, comme si c’était un moyen de rendre la nature ; peut-être même s’est-on flatté de l’embellir ; et tout cela n’a produit que de dégoûtantes et coûteuses puérilités. » Le prince de Ligne disait, plus brièvement : « Point d’esquisses des grandes choses... Quand on voit la Grécie de plusieurs Anglais et la Gothie de M. Walpole, on est tenté de croire que c’est le délire d’un mauvais rêve. » Et l’académicien Chabanon faisait courir avec succès, en 1775, une épître de ton frondeur contre « la manie des jardins anglais, » qui osait débuter par une apologie de Le Nôtre et raillait avec agrément les aberrations de ses successeurs. En voici quelques vers, dont Delille avoue s’être inspiré :


Ne m’offrez plus la ridicule image
De ces monumens faux que l’art a contrefaits.