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Reine ; il commence d’être inquiet et alarmé des dépenses que Sa Majesté y fait. » Et l’ambassadeur, encore insuffisamment renseigné, parle de cent cinquante mille livres nécessaires à la fantaisie anglaise, pour laquelle « on a culbuté les jardins. » Bientôt l’opinion, portée à exagérer, se figurera que le déficit, qui menace depuis tant d’années les finances royales, est sérieusement aggravé par ces dépenses de Trianon ; des commis mécontens propageront ce bruit, et les ennemis de Marie-Antoinette auront beau jeu à lui en faire un grief. Ainsi, de tous côtés, ont grossi contre elle les motifs de mécontentement, par la méchanceté des gens intéressés à la perdre, par sa propre faute et par l’esprit courtisan de ceux qui la servent.


L’artiste ni l’historien des arts n’ont à se préoccuper de telles conséquences politiques ; ils ne s’intéressent qu’à l’œuvre réalisée et aux efforts accomplis afin d’en assurer la beauté. Rien n’a été épargné pour satisfaire une maîtresse difficile et qui ne manque point de goût naturel. Pour le paysage, le plan ne laisse aucune place à la critique. Un grand rocher, muni d’une source, s’élève au bout d’un petit lac creusé entre deux collines et qui se prolonge par la rivière. Traversée d’abord par un pont en maçonnerie, voisin d’un îlot, la rivière décrit une courbe élégante au nord du jardin, redescend en s’élargissant autour d’une grande île, et finit en deux bras formant presqu’île dans la pelouse devant le château. Plusieurs bouquets de bois d’essences variées sont disposés parmi les allées, où la ligne droite n’apparaît qu’une seule fois pour une avenue d’arbres de Judée, qui longe un instant la rivière. Tel est le dessin harmonieux et sobre qui sera exécuté.

Les fabriques prévues pour orner les perspectives subiront, au cours de l’exécution, des modifications nombreuses, toujours dans le sens de la simplification. La Reine en élimine quelques-unes, qu’il n’y a pas lieu de regretter. Elle écarte d’abord la pièce principale, la fausse ruine qui sévit dans tant de parcs célèbres et qu’impose presque partout l’imitation anglaise. On lui a proposé un temple ancien dressé sur le grand rocher et « entouré de débris supposés tombés du frontispice ; » mais elle a lu les moqueries de Chabanon et pense à ce sujet comme son ami le prince de Ligne : « Point de ces abatis de temples, que l’on voit d’abord n’avoir jamais existé. L’image de la destruction est toujours