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et le sourire malin du dieu qui règne en ces jardins. Quel rimeur élégiaque, désirant en des lieux si propices la présence de sa maîtresse, n’évoquerait pour elle les habituelles images ! D’autres coins de Trianon appellent la chère « Catilie, » et voici des vers où la grotte, les chemins qui y mènent, la cascade en miniature qui l’avoisine, sont peints avec les couleurs du temps :


O vous qui craignez son empire,
Fuyez, fuyez ! l’Amour anime ces beaux lieux ;
Dans ce vallon délicieux
C’est lui qu’avec l’air on respire.
De ces sentiers étroits la douce obscurité,
Ces trônes de gazon, cet antre solitaire.
Ces bosquets odorans qu’habite le mystère.
Tout par le de l’Amour, tout peint la volupté,
Sous des lilas, dont la tige penchée
Du midi même amortit les chaleurs,
Du haut des monts une source cachée
Tombe en cascade et fuit parmi les fleurs.
J’approche ; quels objets ! L’herbe à demi couchée
Des débris d’un bouquet était encor jonchée ;
Et deux chiffres, plus loin sur le sable enlacés.
Par le souffle des vents n’étaient point effacés...


De ce jardin amené à sa perfection bien d’autres contemporains ont parlé, mais deux seulement avec la compétence et le ton de connaisseur qui donnent quelque prix à leur jugement. L’un est le prince de Ligne, le créateur de Belœil, celui à qui Delille décerne son plus vif hommage, et qui s’est fait le théoricien des parcs anglais, précisément en ces années où l’engouement qu’on a pour eux atteint le degré suprême. L’autre amateur est le duc de Croy, qui, sans avoir autant de renommée, ne le cède à personne pour l’observation juste et raisonnée d’un beau jardin. Le prince lui-même louait son parc de l’Hermitage, « la noblesse de ses projets, la beauté de ses étoiles, » et les bosquets, berceaux et réduits ajoutés à la majesté de sa forêt. Le duc de Croy note en son journal, au 21 avril 1780, après avoir été revoir la Ménagerie de Versailles, les surprises qu’il éprouva dans sa visite à Trianon : « J’allai au Grand-Trianon. On venait de raccommoder comme à neuf le bâtiment ; c’est le plus riche et charmant morceau d’architecture du monde. Tous les marbres étaient comme étant sortis des mains de Louis XIV.