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La vue de l’entrée de la Cour est admirable ; le reste n’y répond pas. J’allai ensuite chez mon ami Richard, au Petit-Trianon, cédé alors à la Reine. Je n’y avais pas été depuis l’avant-veille de la mort du Roi, où j’en avais été prendre congé, le cœur si gros. Richard et son fils me menèrent, et je crus être fou ou rêver, de trouver à la place de la grande serre chaude, qui était la plus savante et chère de l’Europe, des montages assez hautes, un grand rocher et une rivière. Jamais deux arpens de terre n’ont tant changé de forme, ni coûté tant d’argent ! La Reine y faisait finir un grand jardin anglais du plus grand genre et ayant de grandes beautés, quoiqu’il me paraissait choquant qu’on y mêlât ensemble tout le ton grec avec le ton chinois. À cela près, la grande montagne des fontaines, le superbe palais de l’Amour en rotonde, de la plus riche architecture grecque, et des parties de gazon sont au mieux. Les ponts, les rochers, et quelques parties me parurent manquer. C’était un genre mêlé auquel les amateurs de jardins anglais auront peine à se prêter. »

Trianon est resté, au temps de Marie-Antoinette, un centre d’études botaniques, mais tout autrement que sous Louis XV. Ce sont les arbres employés dans les nouvelles perspectives, qui servent à continuer les essais d’acclimatation de jadis. Le duc de Croy devient ici un témoin précieux, car il donne des détails que personne n’a songé à recueillir et qui sont de grand intérêt : « Ce qui est superbe, c’est que M. Richard, se livrant à son goût et talent, y mettait de grands arbres rares de toutes sortes, et, comme je lisais alors avec enthousiasme le cahier de l’admirable M. Besson sur les Alpes, qu’il fait enfin connaître en naturaliste excellent, M. Richard, qui en a fait le voyage exprès, me montra en nature tous les arbres et arbustes par gradation, qui sont sur les Alpes jusqu’où cesse la végétation. C’est surtout pins, mélèzes superbes, puis, en s’élevant, grands sapins, puis sapins rabougris à petite feuille… et enfin un petit rosier et un petit genévrier rampant… Il était bien curieux, pour un zélé amateur, de voir en nature ce que je venais de lire avec tant d’intérêt. M. Richard plantait une allée tournante, avec de chaque côté un arbre de toutes les espèces et les variétés possibles. Il en réussira bien peu ; mais, avec ce qu’il y a déjà, si cela grandit et est remplacé et soigné, ce sera les deux jardins des Reines de France et d’Angleterre (à Kew) qui auront ce qu’il y aura de mieux en grands arbres. »