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conquis, a séduit un grand nombre d’intellectuels. M. d’Annunzio devait fatalement venir à lui.

Il y a lieu d’enregistrer que le culte de l’Uebermensch va de pair chez l’auteur italien avec le culte de la mère patrie. A mesure qu’il devenait plus nietzschéen, M. d’Annunzio devenait aussi plus fervent patriote. Cette évolution parallèle est d’ailleurs tout ce qu’il y a de plus logique. Le culte du Surhomme est un legs du classicisme ou, pour parler plus exactement, un legs de cette Renaissance italienne des XVe et XVIe siècles avec laquelle M. d’Annunzio aspirait à renouer. Qu’on relise les mémoires de Benvenuto Cellini, qu’on se rappelle le sens attribué dans ce livre au mot virtù, qu’on se remémore l’esprit où est conçu le Prince : « Notre religion, écrit Machiavel, couronne plutôt les vertus humbles et contemplatives que les vertus actives. Elle place le bonheur suprême dans l’humilité, l’abjection, le mépris des choses humaines ; et l’autre au contraire (la religion païenne) faisait consister le souverain bien dans la grandeur d’âme, la force du corps et toutes les qualités qui rendent l’homme redoutable. » Un vague regret du changement survenu ne perce-t-il pas dans les lignes de Machiavel ? Sous la plume de M. d’Annunzio, ce regret s’exprime sans ambages. Mais le sentiment qui anime les deux auteurs est identique.

Giorgio Aurispa n’était encore qu’un Surhomme à l’état embryonnaire. Avec les Vergini delle Rocce apparaît le Surhomme complet, tel qu’il va pulluler chez M. d’Annunzio, dans ses romans, dans son théâtre. L’élément latin de cet idéal nouveau s’accuse en sa pureté dans le héros des Vergini delle Rocce : Claudio Cantelmo. Claudio Cantelmo déclare sentir en lui de violentes énergies strictement latines. Glorifiant les ancêtres dont il dit les tenir et s’exaltant à leur propos, il s’écrie : « Loués soient-ils maintenant et à toujours pour les belles blessures qu’ils ouvrirent, les beaux incendies qu’ils allumèrent, les belles coupes qu’ils vidèrent, les beaux habits qu’ils revêtirent, les beaux palefrois qu’ils caressèrent, les belles femmes dont ils jouirent. Pour tous leurs carnages, leurs ivresses, leurs magnificences et leurs luxures, loués soient-ils : Parce qu’ils me formèrent ainsi ces sens dans lesquels, ô Beauté du monde, tu peux vastement et profondément te mirer comme dans cinq vastes et profondes mers. » Tout d’Annunzio, poète du Surhomme, tout d’Annunzio, sous l’aspect où il se présentait hier