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encore au public européen (je ne dis pas sous l’aspect définitif qu’il revêtira aux yeux de la postérité) se trouve dans l’invocation ci-dessus. Claudio Cantelmo, Surhomme et Surhomme latin, prononçant un éloge, d’ailleurs outré, de ses cinq sens, c’est Gabriel d’Annunzio lui-même surpris dans son attitude favorite et parlant son langage favori.

Et l’on sait de reste que la critique italienne s’est montrée pour M. d’Annunzio nietzschéen aussi peu tendre que pour M. d’Annunzio épicurien et pour M. d’Annunzio évangélique. M. Gargiulo parle de « l’irritation et du dégoût » que doit inspirer le nietzschéisme de son illustre compatriote et va jusqu’à écrire : « Il faut que le public des lecteurs se convainque bien de ceci, que les Surhommes de d’Annunzio sont en dehors de l’art. » Proposition qui me parait aux antipodes mêmes de la vérité. Les Surhommes de M. d’Annunzio sont si peu en dehors de l’art qu’ils ne vivent que pour lui et par lui. Esthètes stériles, ils poursuivent des fins uniquement esthétiques. Qu’on déteste la sécheresse égoïste de leur philosophie, la perversité de leur course aux sensations rares, c’est très bien ; mais elle est vraiment mal défendable, la prétention qui consiste à mettre hors de l’art ces « artistes en vie, » ces malheureux qui ont fait de la Beauté un Moloch cruel, un Moloch décevant, mais somptueux. En regard de cette condamnation absolue prononcée par la plupart des critiques italiens, j’aime à faire figurer l’avis discordant de M. Benedetto Croce. Il observe d’abord et très finement que les grands sensuels mis en scène par M. d’Annunzio sont moins les héros que les victimes de leur luxure. Pour M. Croce, le nietzschéisme de Gabriele d’Annunzio n’a rien d’immoral, affirmation, cette fois, trop indulgente peut-être. Le critique napolitain l’explique par ce fait que le nietzschéisme de M. d’Annunzio n’est autre chose qu’un effort pour conquérir un point de vue idéal d’où contempler la vie. C’est, en d’autres termes, la même idée qu’émet M. Gargiulo quand il intitule ses chapitres : la Voie de sortie de la Bonté, la Voie de sortie du Surhomme. Mais si les deux critiques se rencontrent dans les raisons psychologiques qu’ils assignent à la naissance du Surhomme d’annunzien, ils diffèrent du tout au tout sur la portée morale de cet idéal nouveau. Selon qu’ils sympathisent avec Nietzsche ou non, ils goûtent ou ne goûtent pas Gabriele d’Annunzio proclamant sa doctrine. Je refuse