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Magyars en se mettant avec franchise et simplicité dans leurs mains.

J’honore et j’approuve ceux qui, comme le font le Comte Georges Apponyi et le Tavernicus, font tout ce qu’ils peuvent pour empêcher, ou retarder la rupture. A leur place, je ferais comme eux, mais, à la place où je suis, c’est-à-dire à celle d’un simple spectateur non indifférent à coup sûr, mais impartial, je regarde cette rupture comme inévitable, à moins d’un miracle (Je la protection divine, impossible à prévoir. Il y aura à coup sûr de très grands maux pour la Hongrie, mais de plus grands pour l’Autriche ; celle-ci périra, mais en supposant que je me trompe et qu’elle vienne à bout de dompter les Magyars, quel beau profit sera-ce pour elle que d’avoir créé en Hongrie une seconde Italie, et d’avoir transformé jusqu’aux enfans hongrois en ennemis mortels de la dynastie et de la monarchie, comme nous l’avons tous vu pour les Vénitiens ?

Ceci me conduit au sujet qui vous préoccupe le plus profondément et le plus justement, à l’éducation de vos enfans. — Je suis sûr que non seulement vous autorisez ma franchise à cet égard, mais que vous la provoqueriez au besoin ! Le mouvement national est plein de dangers et d’inconvéniens, je le veux bien ; mais enfin, il existe ; en soi, il n’est réprouvé ni par la loi de Dieu, ni par la loi humaine. Au contraire, Dieu et les hommes sont d’accord pour nous prescrire d’aimer notre patrie et de la préférer à tout, excepté à la justice. « Il faut être de son pays : » soyez sûre que cette vérité banale est plus vraie que jamais dans le temps où nous vivons. Ici encore, je suis bien impartial, car je plaide contre moi-même. Je suis aussi peu de mon pays que possible : je n’aime, ni n’admire la France comme l’aiment et l’admirent la plupart de ses enfans ; son histoire moderne me déplaît ; les crimes atroces qu’elle a commis ou laissé commettre en son nom, et qu’elle n’a point expiés, dont elle ne s’est pas même repentie, m’empêchent d’avoir confiance en son avenir, et la pitoyable mission qu’elle remplit aujourd’hui en devenant le docile instrument de l’égoïsme napoléonien me dégoûte de son présent. Mais cet état de mon âme constitue une infirmité que je reconnais et que je déplore, loin de m’en vanter. Cette infirmité explique en partie l’impopularité dont je jouis : elle m’a empêché de faire tout le bien que j’aurais voulu, et peut-être pu accomplir, si j’avais réussi à m’en guérir.