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Ne songez pas à séparer vos enfans du courant national, si vous avez à cœur d’abord leur bonheur, puis et surtout le bien qu’ils peuvent faire à leur pays. Armez-les de pied en cap contre le mal qu’ils rencontreront dans le cours de leur carrière, mais ne songez pas à les préserver de tout contact avec ce mal en leur donnant une éducation étrangère à celle de leurs contemporains. Qu’elle soit catholique avant tout, soit, mais aussi hongroise avant tout le reste. Que la Hongrie reste soumise à la maison d’Autriche, ou bien qu’elle devienne une nation indépendante, il y aura toujours un rôle très méritoire et très important à jouer chez elle par les catholiques et les conservateurs, mais à la condition sine qua non que ces catholiques et ces conservateurs soient patriotes comme votre oncle Etienne Karolyi.

Encore une fois, chère Comtesse, je ne vous demande pas pardon de vous faire ainsi la leçon et de pénétrer dans l’intimité de vos sollicitudes maternelles, car je suis sûr que vous y verrez la meilleure preuve de mon affection pour vous. D’ailleurs, ce qui me met plus à l’aise, c’est que vous ne me demandez pas de conseils : ceux que je vous donne doivent d’autant moins vous importuner qu’ils sont tout à fait spontanés. Surtout, ne m’imputez pas la prétention de les présenter comme imbus d’une souveraine sagesse. Je ne donne pas mon avis pour bon, mais pour mien : il m’est dicté uniquement par mon amitié pour vous, et par mon intérêt pour tout ce qui vous touche. Rassurez-moi dans votre réponse sur ce que ma prétention aura eu d’indiscret à vos yeux : mais, pour vous dire la vérité, je me sens déjà très rassuré.

Vous allez donc passer l’hiver à Vienne : mais je ne puis pas bien lire le nom de la rue où vous allez demeurer. Ayez la charité de m’envoyer, par une bonne occasion, un plan de Vienne (j’ai perdu celui que j’avais) et marquez-y la maison et la rue que vous habiterez.


Le Comte de Maistre écrivait à Mme Swetchine :


« Jamais je ne m’accoutumerai à ne plus vous voir, à ne plus vous demander compte de vos idées, de vos jouissances, de vos chagrins ; quand une fois vous serez placée, envoyez-moi le plan de votre cabinet, que je voie votre table, votre fauteuil et la place de vos livres. »