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enfin psychologiquement faux jusqu’à l’extravagance. Quant à la Phèdre de M. d’Annunzio, elle est d’un maniérisme d’autant plus déplaisant, d’autant plus irritant pour le lecteur français que le souvenir de la Phèdre de Racine le force à mesurer constamment l’infériorité du poète italien. Tout au plus serais-je tenté de rompre une lance en faveur de la Nave. Le dernier acte est superbe. C’est lui qui sauva tout l’ouvrage, le soir de la première représentation. On courait à un échec quand les derniers épisodes rachetèrent ce qui avait précédé. Et la Nave ne tomba pas aussi douloureusement que la Fiaccola, Più che l’amore et Fedra.

Un souffle d’ardent patriotisme traverse par instans la Nave. Et cette circonstance ne contribua pas médiocrement au succès de la pièce. Gabriele d’Annunzio aime aussi bien son pays de tout son cœur et de toute son âme. Il semblerait que l’Italie dût lui en savoir gré. Qu’il est donc déconcertant de voir la plupart des critiques italiens reprocher au contraire à M. d’Annunzio son patriotisme ! J’observe sous ce rapport chez MM. Borgese, Gargiulo et Donati une touchante harmonie. « Ce ne sont pas les pédagogues, écrit M. Borgese, qui ont inoculé à d’Annunzio l’amour de la patrie : l’Italie lui plut à cause de ses belles montagnes et de sa mer si belle, et c’est parce qu’elle lui plut qu’il l’aima. » De son côté, M. Gargiulo déclare : « Dans le Surhomme patriote le patriote fut complètement dominé par le Surhomme, si seulement le patriote se trouvait dans le Surhomme de quelque manière. D’Annunzio, à notre avis, n’a jamais réussi à aimer l’Italie pour elle-même, comme pays, comme nation. Il l’aima indirectement à travers ses montagnes et ses mers. Aussi ne pouvons-nous voir dans son patriotisme héroïque qu’une variété quelconque de son héroïsme poétique. » Et voici, dans ce triste concert, M. Donati, — last, not least, — pour qui le chauvinisme de M. d’Annunzio n’est (comme pour M. Gargiulo) qu’une forme de son monstrueux égoïsme et de son orgueil sans bornes : « L’Italie (ainsi raisonne M. d’Annunzio suivant M. Donati), l’Italie est ou doit être la première nation du monde. Je suis moi-même, moi, Gabriele d’Annunzio, le plus grand des Italiens ; je suis donc en bonne logique la plus haute expression qu’ait connue notre nébuleuse depuis qu’elle est devenue le système solaire. »

Je me garderai d’intervenir dans cette querelle de famille.