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Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/242

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vait se tromper dans sa politique et nous estimons qu’elle l’a fait souvent ; quelques-unes de ses exigences ont été gratuitement irritantes et la manière dont elle les a présentées n’en a pas, il s’en faut, atténué le caractère vexatoire ; mais il lui appartenait de choisir sa politique, nous n’avions pas à nous en constituer juges : mieux valait, dans une large mesure, lui en laisser la responsabilité. C’est ce que nous avons fait et ce que tout le monde a fait avec nous. Un accord s’est établi sur tous les points entre l’Autriche et les autres Puissances : il en résultait naturellement, sans même qu’on eût besoin de le dire, qu’aucune Puissance et pas plus l’Autriche qu’une autre ne devait rien faire sans s’être concertée avec ses partenaires. Or l’Autriche ne s’est pas concertée avec eux pour adresser son ultimatum à la Serbie. On a dit qu’en agissant ainsi, elle s’était contentée de faire respecter les volontés de l’Europe ; mais dans les affaires de ce genre, l’entente doit s’établir non seulement sur le but, mais sur les moyens. Une initiative isolée peut tout déranger. Elle semble, en tout cas, attribuer à une Puissance un droit d’exécution que n’ont pas les autres, et c’est une apparence que la Conférence de Londres s’est toujours efforcée d’empêcher. On a traité quelquefois sans bienveillance cette Conférence ; on a demandé ironiquement à quoi elle servait. On peut le voir aujourd’hui. Lorsque les Puissances étaient toutes réunies autour d’un tapis vert dans la personne de leurs représentans officiels, et lorsque ces représentans se voyaient officiellement et causaient entre eux plusieurs fois par semaine, aucune d’elles, quelle que fût sa hardiesse, n’aurait commis l’inconvenance de faire ce que l’Autriche vient de faire. C’est parce que la Conférence des ambassadeurs est en vacances qu’un pareil acte a été possible. Lorsque l’Autriche a fait savoir quelle n’accepterait pas que Scutari fût enlevée à l’Albanie par le Monténégro et qu’il a fallu exercer une pression sur celui-ci pour le décider à lâcher prise, l’Autriche aurait volontiers agi seule, mais la Conférence était réunie alors, et l’intervention a été collective. Ce principe importe à la liberté et à la dignité de tous. C’est pour cela que nous le défendons et non pas pour satisfaire à un intérêt qui nous serait personnel. L’Italie a intérêt à ce que son alliée l’Autriche n’intervienne pas seule en Albanie et il y a des momens où elle sent cet intérêt de la manière la plus vive : peut-être y en a-t-il d’autres où elle le perd un peu de vue. Mais nous, que nous importe ? Ce que nous en faisons, nous le faisons dans l’intérêt de tous. Si une action intempestive soulève un jour des difficultés d’un ordre général, nous ne sommes pas de ceux qui en souffriront le plus.