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maintenant, réduit par la malveillance et l’injustice du pouvoir régnant à une misérable pension de six mille francs, dans un village du Morvan, d’où il va passer quelques semaines, auprès de ses vieux camarades et collègues, à Paris, quand il a pu économiser de quoi faire le voyage. Cette année, il me confiait qu’il serait obligé d’abréger de moitié son séjour à Paris parce qu’il avait dû prendre, sur son petit avoir, de quoi élever une croix de pierre, à la place d’une croix ruinée, devant son église. Voilà, chère Comtesse, ce que c’est que le véritable honneur et j’estime que, après la sainteté, il n’y a rien de plus beau, non seulement devant les hommes, mais encore devant Dieu. Un grand cœur dans une petite maison. Cette belle parole du Père Lacordaire est parfaitement réalisée par ce vieux guerrier, tombé du faîte des grandeurs dans une adversité imméritée, et dont je vous ai parlé en détail parce que j’aime à vous entretenir de tout ce qui m’émeut et de tout ce que j’admire.

Ceci me rappelle que vous devez me demander, quand vous passerez à Paris, le merveilleux volume qui vient de paraître des Lettres du P. Lacordaire à des jeunes gens. Je veux vous le donner à l’intention de vos fils, quand ils deviendront grands. Le P. Lacordaire ! Voilà l’homme dont il faut étudier et imiter la grande vie. En fait de lectures moins solennelles et moins utiles, mais qui ont aussi leur prix, si vous aimez les romans, je vous recommande Sybille, par Octave Feuillet, celui que nous avons élu en dernier lieu à l’Académie, non sans quelque hésitation, mais qui a très heureusement justifié notre choix en publiant ce livre charmant et irréprochable. Il y a là une certaine duchesse Blanche, qui me plaît encore plus que l’héroïne, et que je vous recommande. Voici une lettre bien longue et bien indéchiffrable ; mon écriture ne ressemble guère à la vôtre qui est si élégante et si lisible. Faites-m’en jouir souvent, car je vous assure que vos lettres sont pour moi plus qu’un plaisir, une vraie consolation, et j’en ai besoin, car enfin chacun a ses peines.


Paris, ce 23 mars 1863.

Puis-je encore vous écrire, chère Comtesse ? Je n’en sais vraiment rien, tant je suis surpris, alarmé, mais surtout affligé, pour ne pas dire blessé, de votre incompréhensible silence !

Qu’y avait-il donc, dans ma dernière lettre, que je vous ai