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n’est pas la seule, ni même toujours la plus poignante de ma vie ? Cette grande et surprenante renaissance de la vie parlementaire en France, sans que j’y sois pour rien, est une grande amertume pour moi. Songez donc que, depuis mon adolescence à 21 ans et jusqu’à 41, j’ai toujours été mêlé à tout ce qui s’est dit et fait dans mon pays ; que j’ai eu pour collègues et pour amis M. Mun, M. Berryer et tous ceux qui reparaissent aujourd’hui sur l’horizon avec un éclat nouveau, tandis que je languis oublié et anéanti comme un naufragé dans une île déserte :


Vorüber ist alles, Glüek und Hoffnüng
Hoffnüng ünd Liebe ! Ich liege am Boden
Ein öder, schiffbrüchiger Mann
Und drücke mein glühendes Antlitz
In den feuchten Sand.


Et encore n’est-ce pas la vie publique qui n’inspire le plus de regret ! J’ai d’autres chagrins, qui me déchirent le fond le plus intime du cœur, que je vous raconterais peut-être si j’étais auprès de vous, car je vous crois compatissante et, selon moi, la pitié est le plus grand charme de la femme chrétienne. Ne me condamnez donc pas trop sévèrement. Je sais très bien que je n’ai pas le courage qui devrait me donner la foi et la résignation à la volonté de Dieu. Plaignez-moi et montrez-moi mon devoir d’une main douce qui sache panser les plaies de la vie. Surtout ne me punissez pas de mon long silence en m’imitant. Donnez-moi bien vite de vos nouvelles. Rassurez-moi sur les conséquences de ce cruel hiver pour votre chère santé. Parlez-moi aussi de vos enfans auxquels je porte un si vif intérêt, puis de vos projets pour cet été. Ne pourrions-nous pas nous rejoindre quelque part ? J’ai l’idée d’aller en Allemagne, à Munich, pour y passer un mois à travailler, chez Döllinger, à la suite de mes Moines d’Occident. Seulement, je ne sais pas encore à quel moment je pourrai placer ce voyage ; cela dépend de mon travail qui n’avance pas, car je n’y ai plus aucun goût. Mais, une fois à Munich, je serais capable d’aller vous trouver n’importe où en Allemagne. Tenez-moi donc bien au courant de ce que vous deviendrez cet été, si l’idée de me revoir ne vous déplaît pas trop. Parlez-moi aussi de la chère Hongrie et beaucoup. Ne soyez pas trop absolutiste. Vous avez bien raison de vous défier de la liberté, de la démocratie et de la race humaine