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angoisses patriotiques pendant l’été dernier ? Ici les vœux de tous les honnêtes gens étaient pour l’Autriche avec une unanimité que je ne me rappelle pas avoir vue pour aucune autre cause depuis que j’existe. Mais quel triste mécompte !... Cette débâcle universelle de toutes les ressources d’une immense monarchie, cette absence totale de vertus civiques et sociales, chez tout le monde : quel jugement de Dieu sur ce despotisme à la Metternich et à la Schwarzenberg qui a lentement consumé toutes les forces vitales de ce grand et bel empire et que les conservateurs européens ont si sottement admiré ! Quelle leçon surtout pour ces catholiques encore si nombreux qui s’obstinent avec un si incorrigible aveuglement à préférer le régime de la protection à celui de la liberté ! Une expérience plus éclatante que le soleil est venue démontrer que les catholiques valaient beaucoup mieux sous le gouvernement anticatholique de la Prusse que sous le gouvernement apostolique de l’Autriche, tout comme ceux de la Belgique, de la France et de l’Amérique valent infiniment mieux que ceux de l’Espagne et de l’Italie où a régné si longtemps cette alliance entre le despotisme et la religion que l’on veut nous imposer comme un article de foi.

En ce qui touche la Hongrie, je voudrais que vous puissiez me donner des nouvelles plus rassurantes dans votre prochaine lettre, car je crois toujours que la réconciliation des deux pays est non seulement l’unique chance de salut pour l’Autriche, mais encore ce qu’il y a de mieux pour la Hongrie. Vous avez peut-être su par votre nièce que le Pape avait spontanément accordé à ma fille Catherine la permission de venir me voir pendant ma maladie. Je la vois donc pendant deux ou trois heures tous les dix ou quinze jours, c’est-à-dire aussi souvent que quand je me portais bien. C’est une grande consolation pour moi. Nous parlons souvent de vous, chère Comtesse, et de nos si agréables souvenirs de Hongrie. Ma femme vous remercie de votre bon souvenir ; elle est un peu fatiguée des soins qu’elle m’a prodigués depuis si longtemps, car ce qu’il y a de plus triste dans un état comme le mien, c’est d’être à charge non seulement à soi-même, mais surtout aux autres.

Priez donc, chère Comtesse, pour que mon épreuve s’abrège par une mort chrétienne bien plus désirable à mon âge qu’une guérison qui ne prolongerait que de quelques courtes années une vie désormais inutile, et à vrai dire déplacée en présence des