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politique active : en fait, il allait donner au journalisme quinze années de sa vie au moins, et ne l’abandonner que pour l’histoire et les lettres.

Le Français, dont le conseil d’administration fut longtemps présidé par M. Caillaux (le futur ministre du maréchal de Mac-Mahon), offrait cette particularité que les journalistes de profession y étaient en minorité, et relégués pour la plupart dans les emplois secondaires. En évoquant plus tard ses souvenirs du Français, Thureau-Dangin notait, avec son habituelle franchise, « une inexpérience naïve des roueries du métier ; une façon de nous tenir à part du monde de la presse qui nous a valu plus d’une hostilité. » Les principaux rédacteurs, qui formaient une élite par le talent aussi bien que par la valeur morale, étaient avant 1871[1] Etienne Récamier, le comte Guillaume de Chabrol, Campenon, Horace Delaroche, Léon Lavedan, les frères Desjardins, Emmanuel Cosquin, Heinrich (le futur doyen de la Faculté des Lettres de Lyon), Georges Picot, et, avant tous les autres, François Beslay.

Thureau-Dangin aimait à saisir les occasions de rappeler la mémoire et de provoquer l’éloge de ce très cher compagnon de lutte : « Dans l’amitié qui nous unissait, Beslay et moi, jamais un nuage... Sa mort a été l’une des grandes tristesses de ma vie. » Pour ceux-là mêmes qui ne l’ont point personnellement connu, c’est une figure singulièrement intéressante que celle de cet ascète du journalisme moderne, également doué pour l’érudition, la littérature et le barreau, appliquant de préférence à des besognes obscures ou anonymes « sa prodigieuse variété d’aptitudes et sa promptitude d’assimilation, » cherchant l’oubli avec autant d’acharnement que d’autres en dépensent à courtiser le succès, se liant à cet égard par une sorte de vœu ou d’engagement écrit.

« Aux yeux de Beslay et aux miens, » a écrit Thureau-Dangin, « le principal de l’action du Français était son action religieuse... Nous voulions être des catholiques comprenant leur temps, sympathisant avec ce qu’il avait de bon, cherchant la liberté de l’Église dans la liberté générale, désireux de ramener la société

  1. Les événemens de 1870-1871 amenèrent d’assez sensibles modifications dans ce personnel : tandis que les uns entraient dans la politique ou l’administration, d’autres désapprouvèrent la ligne de conduite adoptée par le journal en matière constitutionnelle.