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de la Seine, liste très « panachée, » puisqu’on y lisait côte à côte les noms de Victor Hugo et d’Augustin Cochin, d’Edgar Quinet et de Vitet. « Parti de Paris après le siège et avant que le dépouillement, très compliqué à cause de la multiplicité des listes, n’ait été fini, je n’ai jamais su combien j’avais eu de voix. »

En rentrant en contact avec la province, il s’aperçut que la mentalité en était toute différente, et que les excès de la dictature gambettiste y avaient rendu impopulaire la forme républicaine elle-même : ce sentiment avait dominé les élections à l’Assemblée nationale. D’autre part, les déclarations du Comte de Chambord en faveur du drapeau blanc semblaient reculer la possibilité d’une restauration monarchique. Pour prévenir le retour de l’Empire, qui leur apparaissait à la fois comme un affront et une calamité, les rédacteurs du Français s’appliquèrent à maintenir l’union entre Thiers et la majorité conservatrice de l’Assemblée, union précaire et négative, où les deux parties contractantes se défiaient l’une de l’autre et ne s’accordaient guère que pour accabler bonapartistes et radicaux de leurs imprécations. A cette tâche ingrate, Thureau-Dangin consacra un talent de plus en plus éprouvé, prêchant avec éloquence la modération, la patience, la sagesse, s’employant habilement à calmer les animosités et à ajourner la rupture.

Quand le choc inévitable se fut produit en mai 1873, le Français n’hésita point à se prononcer pour l’Assemblée : il devint, de 1873 à 1875, l’organe officieux du gouvernement ; ses rédacteurs possédaient la confiance du due Albert de Broglie et du président Buffet, vivaient sur un pied d’amitié ou même de camaraderie avec plusieurs des chefs de la majorité ; c’est alors que le Français eut sa part d’influence et connut presque la prospérité. Le journal fut ainsi tout naturellement amené, lors de la « fusion » des deux branches de la maison de Bourbon, à participer à la campagne de restauration, que la lettre de Salzbourg vint inopinément interrompre. Cette attitude monarchique s’accentua encore après la mort du Comte de Chambord, qui supprimait toute discordance au sujet du drapeau et faisait renaître l’espoir, l’illusion d’un succès possible : si les circonstances politiques étaient moins propices, la rédaction s’était fortifiée à partir de 4875 d’une élite de fonctionnaires démissionnaires ou révoqués.