Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/339

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Je ne sais, » écrivait Thureau-Dangin en 1883, « si mon pauvre Français me lâchera un jour : c’est bien possible avec la dureté des temps ; mais j’aurais de la peine aie lâcher moi-même, bien que la charge me paraisse par moment singulièrement lourde. » Il n’en assurait pourtant alors le service que dix jours par mois, en alternant avec Eugène Dufeuille et Auguste Boucher ; mais cette lassitude intime, tout inaperçue qu’elle fût des lecteurs, remontait à 1871 : « Je sens bien que la vie que je mène ne peut guère me mener à rien. Je m’use et je gagnerai peu, surtout comme forme. On s’habituera à voir en moi un journaliste estimable ; voilà tout... » Et en 1877 : « Je sens chaque jour baisser non seulement mes passions, mais même mes convictions politiques. Je reporte toutes mes ambitions sur mes enfans, que j’adjure, chaque matin, de ne jamais mettre la main dans la politique. » Plus tard encore, comme un jeune homme était venu solliciter ses conseils, il le détournait, avec une énergie d’affirmation que son interlocuteur n’oubliera jamais, de s’engager dans la presse politique.

La mort de son ami Beslay, en juillet 1883, aggrava cette disposition. On objectait à Thureau-Dangin que lui seul était en mesure de poursuivre l’œuvre commune ; mais, à quelques semaines de là, un coup plus cruel encore venait paralyser son activité : sa fille ainée succombait à un mal imprévu et foudroyant. Il ne se sentit pas dès lors le courage d’assumer la charge constante, quotidienne, du journal, qui végéta pendant quelque temps, pour se réunir en 1887 à une feuille devenue anémique elle aussi. Thureau-Dangin faisait remonter cette fin à celle même de Beslay : « Quelles années que celles que nous avons passées ainsi, côte à côte, cœur à cœur ! Depuis lors, le Français n’était plus le Français, et ce n’est que son ombre qui a disparu. »


III

Écolier, Paul Thureau-Dangin avait manifesté pour l’histoire une prédilection accentuée. Etudiant en droit, il rêvait de mener de front avec la préparation de sa thèse celle d’un travail « sur le rôle du parti catholique sous la Monarchie de Juillet. » Dans une lettre qui mériterait d’être reproduite en