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avait de votans. Les électeurs méridionaux préludaient sans retard, et dès leur coup d’essai, à leurs plus remarquables et audacieuses fantaisies.

Joubert ne se mêla point à ces aventures. Dans ses souvenirs inédits, Arnaud Joubert raconte que son frère « se laissa nommer » juge de paix. C’est bien l’exacte vérité. Il ne vint même pas à Montignac pendant la période électorale, soit que la chose ne le tentât guère, soit qu’il sentit ou qu’on sentît pour lui qu’il était personnellement peu apte à faire campagne politique, soit qu’une sorte de nonchalance qui est assez bien dans son caractère l’eût engagé à épargner un long voyage au cas où il ne serait pas élu, soit qu’il eût à Paris des attaches qu’il rompait difficilement.

Il resta donc à Paris. Son élection est du 28 novembre 1790 ; et la confirmation du scrutin est du 12 décembre. Il ne se pressa point d’aller à Montignac. Il est à Paris le 18 janvier 1791. A quatre heures et demie de l’après-midi, ce jour-là, il se promène derrière le chevet de Notre-Dame ; il regarde la Seine, haute et gonflée, le ciel couvert de nuages dont il examine la variété. Il note sur son carnet tout cela, en latin, et ajoute : tempore tamen mihi satis jucimdo et felici. Le dimanche 23 janvier 1791, il est encore à Paris. Il continue de se promener, en baguenaudant et en méditant. La crue de la Seine l’intéresse. Et il note, avec un peu d’éloquence, ou de plaisanterie : « Inondation. La Seine a voulu voir la Bastille détruite. Elle invoqua les eaux du ciel, qui l’ont portée au pied des murs où régnoient ces fameuses tours que les habitans de Paris ont mises par terre depuis trois fois trois mois, neuf jours. » D’ailleurs, il est en train de lire Lucain ; et c’est peut-être la Pharsale qui, en l’occurrence, gonfle ainsi son langage.

En l’absence du candidat, la campagne électorale fut organisée et menée pour lui par son beau-frère, ce Jean Boyer qui avait épousé Catherine Joubert[1]. Ce Jean Boyer paraît avoir été un garçon très actif et adroit. Il dépensa, pour l’élection de Joseph Joubert, un vif entrain.

Quelques mois plus tard, un certain Waurillon de la Bermondie le dénonçait, « à l’instigation du peuple, » au lieutenant général criminel de la sénéchaussée et siège présidial de

  1. 9 octobre 1779. Registres de l’état civil, mairie de Montignac.