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Pour compléter son tribunal, le juge de paix avait encore un greffier qu’il désignait lui-même et qui prêtait serment devant lui seul. Joubert choisit un Queyroy, l’un de ses cousins, car sa grand’mère, femme de Claude Joubert, était une Thoinette Queyroy. Et il traitait son greffier, nous le verrons, très gentiment.

Il y avait, chaque semaine, trois audiences régulières. En dehors de cela, le juge de paix était sans cesse à la disposition des parties, pour toute affaire qui demandât de la célérité. Il tenait ses audiences chez lui, tout bonnement, pourvu que les portes fussent ouvertes à tout venant ; et ainsi la vieille maison de la rue du Cheval Blanc, — aujourd’hui, rue de la Liberté, — se transforma en justice de paix.

Quel plaisir on aurait à se figurer un peu exactement Joubert qui reçoit à son tribunal les gens irrités, les apaise, au moins les engage à parler plus doucement, les écoute, argumente avec eux, leur démontre la futilité de leurs ressentimens et ne les persuade pas toujours, mais leur donne de bons avis et, au bout du compte, tranche à sa guise le débat ! Je devine sa patience. Il ne ressemble pas à l’ami qu’il aura plus tard, à ce Chateaubriand qui, ambassadeur à Londres, regrette de consacrer « une petite case de sa cervelle » à des dossiers médiocres et, quand il fouille dans sa mémoire, d’y « rencontrer MM. Usquin, Coppinger, Deliège et Piffre. » Cette hauteur intellectuelle et ce dédain d’artiste ne sont pas de Joubert. Il est méticuleux et attentif ; il accorde à la plus petite affaire un soin délicat. Et sa bonhomie fait merveille ; la finesse de son esprit le dispense d’être dupe. Il sait, quand il le faut, conclure et nettement.

Je voudrais l’imaginer assez pour le voir, l’entendre. Mais, à défaut de lui, j’ai eu la chance de trouver, — non sans peine et avec plus de joie, — dans une armoire, au grenier de la mairie de Montignac, parmi des paperasses, de la poussière et des souris, toute une liasse de ses jugemens, signés de lui et, la plupart, d’un bout à l’autre écrits de sa main.

Le plus ancien de ces modestes documens, — qui ont l’intérêt de nous montrer au jour le jour la vie d’un magistrat de petite ville sous la révolution, ce magistrat d’ailleurs étant Joubert, — est du 22 mars 1791. Le nommé Pierre Marfonds, avec une nommée Léonarde Bray, se présenta au juge de paix. On accusait Marfonds d’avoir tenu contre Léonarde Bray des