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Je ne sais pas si ce discours eut un grand succès. Je crois que oui. Certes, il ne semble pas exactement approprié à la simplicité villageoise qui devait l’accueillir. C’est pour cela qu’il a dû plaire. Un auditoire modeste n’aime pas qu’on se soit incliné vers lui ; et, quitte à ne pas tout comprendre, il goûte qu’on lui offre des merveilles, même difficiles. Joubert avait travaillé son discours avec ce scrupule méticuleux, avec cette coquetterie subtile où, sans doute, on sent la recherche, mais où l’on voit aussi la trouvaille. Il avait, comme dans ses écrits les plus achevés, veillé au rythme de ses phrases, balançant avec soin les octosyllabes qui font, de ses paragraphes, des strophes et donnent à la pensée ainsi rendue l’accent d’un poème plutôt que l’accent oratoire.

Au total, un singulier discours. Un discours cependant, et où ne manque pas la rhétorique, où ne manque même pas la rhétorique de l’époque révolutionnaire. C’est, par endroits, le ton de l’époque ; ce l’est avec modération : et Joubert, à l’église, a nommé Dieu. Mais il a parlé de la Nation ; et l’exubérance avec laquelle il a vanté ces pêcheurs qu’on traite comme des rois est bien du temps où les rois déclinent à mesure que le peuple monte. Il y a entre ces idées, si l’on peut dire, démocratiques et la fine préciosité de la forme un contraste qu’il n’a peut-être pas souhaité, qu’il a certainement aperçu, et tel qu’on y prend un malin plaisir, tel en effet qu’on se demande si l’éloge de Barbefine et de Cailloud n’est pas enveloppé de quelque ironie à laquelle se serait amusé Joubert. Mais non ; ou, plus exactement, son ironie est bonhomie : il ne se moque pas. Ce qui donne à beaucoup de ses écrits l’air de l’ironie, c’est que, de nature, il est un homme extrêmement solitaire. Pour sortir de lui-même et aborder les autres gens, il lui faut maintes cérémonies. Et il s’apprête et, pour ainsi dire, fait toilette. Alors, il n’a pas toute spontanéité. Cela n’empêche pas qu’il soit parfaitement sincère. Mais il s’est dédoublé : le moi qu’il montre n’est pas tout lui-même. Ces complications de l’esprit sont visibles surtout dans un exercice oratoire où un simple orateur eût donné, sans marchander, tout son vain cœur expansif. Voilà le caractère de ce discours si étrange, si drôle et, dans l’œuvre de Joubert, si particulier.

Cela, c’est la grande occasion, la solennité. Dans le tran-tran quotidien, Joubert est assez occupé par son métier de juge