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pensées à lui. C’est la méthode qui l’amuse le plus. Il lit les douze livres des Lois et il écrit les élémens de sa politique. Ce n’est pas celle d’un énergumène. Il écrit, par exemple : « Il faudroit qu’il y eût pour les peuples une histoire secrette des bienfaits des rois et des princes, et pour ceux-ci une autre histoire secrette des justes châtimens que les peuples ont quelquefois infligés aux princes et aux rois. Les rois ne devroient lire que celle-ci et les peuples que celle-là. » Je crois qu’il juge ses contemporains, quand il écrit : « Vous ne semez là que des ronces ; elles porteront des épines. » Il se méfie des improvisateurs sociaux et leur dit : « Nous sommes dans le monde ce que sont les mots dans un livre. Chaque génération en est comme une ligne, une phrase... » Il sépare énergiquement la religion et le reste : « Hommes, mêlez-vous des choses humaines ; dieux, mêlez-vous des choses divines. » La philosophie l’entraîne assez loin dans l’incertitude : « Dieu ! soit que vous soyez un, ou soit que vous soyez plusieurs... » Et cette opinion d’un pessimiste narquois : « C’est l’ouvrier qui a fait le monde ; l’homme fut fait par ses apprentis. » Il compose une prière de philosophe : ; « Dieu ne peut pas être connu. Faites, à Dieu cette prière : Être sans fin et sans commencement, vous êtes ce que l’homme peut concevoir de meilleur. Comme un rayon de la lumière est enfermé dans tout ce qui brille, un rayon de votre bonté reluit dans tout ce qui est vertu. Tout ce que nous pouvons aimer et qui est aimable montre une part de votre esprit, une apparence de vous-même. Toutes les beautés de la terre ne sont qu’une ombre projettée de celles qui sont dans le ciel. Rendez-nous semblables à vous autant que notre nature grossière permettra cette ressemblance, afin que nous soyons participans de votre bonheur autant que le permet cette vie. »

Ses idées sociales, on en trouve l’indication dans ces lignes : « Les hommes naissent inégaux. Le grand bienfait de la société est de diminuer cette inégalité autant qu’il est possible et, c’est à ce but qu’elle doit tendre en rendant le faible fort, le pauvre riche, l’ignorant éclairé et le malade bien portant, et procurant à tous la sûreté, la propriété nécessaire, l’éducation et les secours. » Lisant Aristote, il écrit : « Les hommes ont partagé les terres ; ils n’auroient dû partager que les fruits. »

Pour occuper Joubert, il y a aussi une grande tendresse qui lui est venue à l’égard de Mlle Moreau, de Villeneuve-sur-Yonne.