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le mensonge. Sa subtilité de dialecticien est aux prises avec la malice paysanne. Il renvoie le jugement à la prochaine audience. Mais je n’ai pas le procès-verbal de la prochaine audience et j’ignore ce que devint la querelle de Marfonds et de Léonarde.

Ainsi travaille, à Montignac, Joubert. Sa compétence est limitée aux petites affaires. Mais la loi ordonne que nulle affaire ne soit portée au tribunal du district sans qu’il ait été fait d’abord un essai de conciliation. Le demandeur doit premièrement appeler son adversaire devant le juge de paix, lequel tentera d’épargner un procès. Joubert, avec ses deux assesseurs, se réunit alors en « bureau de paix. » Quelquefois il convainc les plaideurs : et l’un paye à l’autre ce qu’on lui réclame. Quelquefois, il nomme des arbitres. Le plus souvent, il exhorte les parties à « terminer à l’amiable ; » il leur propose « divers moyens de conciliation ; » il les leur propose sans nul succès ; et il les renvoie « à se pourvoir sur leurs prétentions respectives devant les juges compétens. »


Telles sont les occupations de Joubert. Sans doute lui a-t-il fallu quelque temps pour s’habituer à elles, pour s’habituer aussi à ses compatriotes retrouvés qui, après une longue absence, l’étonnent, le déconcertent. Il a prévu cette difficulté. Peu de jours avant de quitter Paris pour Montignac, il notait : « Dire vivement et avec feu des choses froides, coutume des Méridionaux. C’est que leur vivacité ordinaire vient de leur sang, non de leur âme. » Ces gens parlent beaucoup. Et Joubert, lui, est un grand ami du silence. Il écrit : « Entendez-vous ceux qui se taisent ? » Il a plus de peine à entendre ceux qui parlent énormément.

Puis il se reprend, peu à peu. Malgré les audiences, les procès- verbaux, le tracas perpétuel, il travaille. Il s’est mis à de fortes lectures. Il lit assidûment le Cratyle, et note : « La lecture de Platon est comme l’air des montagnes. Elle ne nourrit pas, mais elle aiguise nos organes et donne le goût des bons alimens. » Et il note : « Par le souvenir, on remonte contre le temps, par l’oubli, on en suit le cours. » Il note : « Dans tous ces temps de trouble, on fait et on souffre de grands maux. » Il note : « Quand l’événement est ancien, l’histoire a déposé sa lie. » Mais il vit dans le tumulte présent. Il lit Platon ; et, animé par sa lecture, il lit en lui-même.. Il note ensemble des extraits de Platon et ses