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supplier de faire diligence. Je ne sais pas combien de temps dura l’affaire. Mais Joubert n’était plus là.


Sa lettre du 1er janvier 1793, Joubert la signe « Joseph Joubert, président du tribunal de conciliation. » Il n’est plus juge de paix. Les tribunaux de conciliation, dans chaque district, servaient comme de « bureaux de paix » pour les parties domiciliées dans les ressorts de différentes justices de paix. Ils étaient composés de six membres, que désignait le conseil général. Joubert avait été nommé président de ce tribunal, je ne sais à quelle date, sans doute à la fin d’octobre 1792, quand il cessa d’être juge de paix ; et il donna bientôt sa démission pour quitter Montignac.

Pourquoi renonça-t-il à être juge de paix ? Eh bien ! cette magistrature, qui avait donné de si grandes espérances, ne tarda guère à décevoir tout le monde. Dès le printemps de l’année 1791, Lamarque, dans le Journal patriotique du Département de la Dordogne, s’étonne que « la sublimité de l’institution des justices de paix » se détériore. Les juges de paix devaient remédier à « des maux incalculables ; » et Lamarque se demande pourquoi ils ne le font pas. C’est qu’ils jugent selon la lettre, au lieu d’ « entrer dans le cœur des hommes pour les amener à l’oubli des injures, au désintéressement, à la paix ; » c’est que « pour donner des cédules et des sentences, il ne faut que des mains ; pour concilier, il faut une âme. » Et l’on n’a pas trouvé une telle âme dans chaque canton. En 1792, le ministre de la Justice déplore le peu d’expérience des juges de paix : les uns sont trop mous, les autres trop raides. Les audiences sont souvent levées, faute d’assesseurs : « ces bonnes gens, qui ont besoin de travailler pour vivre, ne veulent pas s’assujettir aux audiences pour rien. » En 1793, Carnot, dans le rapport qu’il adresse, avec Lamarque et Garrau, à la Convention, écrit : « Des juges de paix, dans les campagnes, font un métier honteux de ce qui ne devroit être que l’exercice d’un ministère paternel et consolant : on leur reproche infiniment de despotisme et une avidité indigne du caractère respectable dont la confiance publique les a revêtus. » Certes, on n’adresse pas de tels reproches au parfait Joubert ; mais enfin la profession de juge de paix a perdu sa première poésie, une partie même de sa dignité.

Pendant l’année 1792, les choses avaient pris une tournure